Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de lui ces fleurs d’idéal, la chevalerie, les croisades, le culte de l’honneur, le respect de la femme, mais qui, tout bien pesé, apparaît comme une forme inférieure de la civilisation, car il favorisait l’égoïsme et ce penchant trop commun des privilégiés à s’imaginer que la plupart sont nés avec une selle sur le dos, quelques-uns seulement avec des éperons aux pieds, car il a élargi le fossé entre les petits et les grands, rendu les guerres plus fréquentes, entravé ces fondemens de la liberté, de l’égalité, l’ordre, l’autorité de commandement, la conception de l’État.

Charles-Quint aimait les Comtois dans ses conseils, sur les champs de bataille, et, au XVIe siècle[1], la Comté devient une pépinière d’hommes d’État, de célèbres diplomates : tels François Bonvalot, abbé de Luxeuil et de Saint-Vincent, administrateur de l’archevêché de Besançon, qui remplit avec succès plusieurs missions diplomatiques à la cour de François Ier ; Jean Richardot, président du conseil privé des Pays-Bas et l’un des auteurs de la paix de Vervins ; le président Philippe ; Carondelet, Charles de Poupet, qui forma la ligue des puissances italiennes contre la France et prépara l’élection d’Adrien VI à la papauté ; les deux Granvelle. Quelle curieuse figure, ce Nicolas Perrenot, fils d’un maréchal-ferrant d’Ornans, d’abord conseiller au parlement de Dole, formé par l’étude des lois au maniement des hommes, deviné par Charles-Quint, qui le nomme garde des sceaux, conseiller d’État, lui confie les négociations les plus importantes ! Vingt ans durant, il fut le dépositaire de tous ses secrets et, de son vivant, personne dans son palais ne jouissait d’une familiarité aussi intime. Par une disposition cachée de la Providence, il y avait, remarque un contemporain, entre Charles-Quint et Nicolas un tel rapport d’âme et de génie que l’on pouvait douter si cette liaison procurait au premier plus d’avantage ou de plaisir. « J’ai plus perdu que vous, écrivait Charles à son fils (1550), car j’ai perdu un ami tel que je n’en trouverai plus de semblable ; vous, si vous avez perdu un père, je vous reste pour vous en tenir lieu. » Que Nicolas Perrenot appartînt à la classe des politiques intéressés, qu’il ait impatienté parfois son maître par des demandes de titres et d’argent, acheté mainte seigneurie, allié sa famille à la plus haute noblesse, fait entrer le cardinal son fils au chapitre noble de Liège, je n’y contredirai point ; quant à lui, il signa toujours : Nicolas Perrenot, et ses petitesses ne sauraient faire oublier les services rendus. Il protégea toujours les Comtois et la Comté, voulut

  1. Un peu plus tard, Jean de Mairet, Comtois tout dévoué à Richelieu, l’auteur de cette Sophonisbe, la première des tragédies régulières qui fut représentée au Palais-Cardinal.