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longue dévastation de Rome, impuissant, revêtu d’un titre purement nominal, ne pouvant même punir les lansquenets allemands qui osent piller son propre train de maison et poussent au pire l’indiscipline. Loin de prendre part à l’orgie, il révèle dans ses journaux de campagne son chagrin de ne pouvoir empêcher tant de mal, et nous le voyons demander à sa mère une somme de 6,000 écus, car il vit depuis longtemps de la miséricorde de Dieu ; ces mêmes journaux le peignent dans la pleine vérité de son caractère, prodigue, toujours endetté malgré ses grands revenus, dominant à force de volonté une constitution peu robuste, marchant par exemple au combat le pied enveloppé dans un chapeau de velours à cause de la goutte. Il avait commis une première faute en se mettant sous les ordres du connétable, une seconde en ne se retirant pas d’une armée si mal composée ; il en commit une troisième lorsque, au mépris de la capitulation accordée, il retint prisonniers au château Saint-Ange le pape Clément VII et les cardinaux. Mais il avait l’approbation tacite de Charles-Quint qui le nomma généralissime de l’armée impériale. À peine remis de la peste et d’une grave blessure, il rétablit l’ordre dans son camp, tient tête à l’armée de Lautrec, gagne du temps, force son successeur le marquis de Saluées à capituler, reconquiert le royaume de Naples et met le sceau à sa gloire en semblant lui-même l’ignorer : la vice-royauté de Naples, le comté de Venafre, le duché de Gravina, la principauté de Melfi, etc., furent la récompense de tant de services.

Après la paix de Cambrai (1529), l’empereur le chargea de prendre Florence, dont les citoyens avaient renversé les Médicis : le siège dura neuf mois, la ville allait succomber, lorsque, dans un combat, le prince tomba mortellement frappé de deux coups d’arquebuse ; sept jours après, Florence ouvrit ses portes à l’armée impériale. Sa mère lui fit, à Lons-le-Saulnier, de splendides funérailles où figuraient, au milieu d’une foule immense, cent trente-huit drapeaux enlevés à l’ennemi, parmi eux l’étendard du peuple romain. Et, entre tous les témoignages de sympathie qui parvenaient à la princesse, il en est un qui dut la toucher plus profondément : la requête des montagnards du val de Mièges demandant que le corps de leur tant bon seigneur fût déposé dans l’une de leurs églises, pour soulager leurs grosses douleurs. Avec lui disparaissait un des plus nobles, un des derniers représentans de ce monde féodal qui sans doute eut ses vertus, sa raison d’être, puisque, pendant des siècles, il donna aux hommes et aux choses une constitution régulière, mit des bornes aux ambitions déréglées, forgea des caractères vigoureusement trempés, des âmes de toutes pièces, puisqu’on vit sortir