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écrivons des articles dont le but avoué et honorable est de nous convaincre les uns les autres. Cependant, lorsque par hasard quelques-uns d’entre nous se rendent enfin aux argumens de leurs adversaires de la veille, dont ils se préparent à devenir les amis, bien des gens n’hésitent pas à les traiter de « renégats » et « d’ambitieux vulgaires. » Quant aux couches successives de républicains qui ont tour à tour, depuis vingt-trois ans, adhéré à la forme du gouvernement, et ont peu à peu formé, en s’agglomérant autour d’un noyau, d’abord fort réduit, l’immense majorité actuelle, de quel droit prétendraient-ils fermer derrière eux la porte de la république, semblables en cela à ces émigrés de Coblentz, qui mesuraient leur fidélité par les dates, et traitaient toujours de jacobins les arrivés de la dernière poste et du dernier mois ?

Ce sont là des vérités tellement évidentes que personne n’y peut contredire ; mais il faut souvent beaucoup de courage pour dire tout haut ce que la plupart de nos contemporains pensent tout bas, — je n’en veux pour exemple que M. Dupuy qui n’a pas osé tenir un pareil langage à Toulouse, et qui, dans un second discours à Albi, sorte de post-scriptum du premier, ne l’a tenu qu’avec bien des réticences. — M. Constans a parlé avec plus de crânerie, et il en a été récompensé par une approbation quasi-unanime. Nous en sommes heureux pour lui, mais il n’est qu’au début de sa tâche s’il veut la mener à bien et jouer, durant les élections prochaines, le rôle de directeur officieux de l’opinion officielle, que Gambetta avait gardé pendant quelques années avec une souveraine autorité.

Il faudra préciser davantage la politique que l’on entend suivre, non pas vis-à-vis de tel député actuel ou de tel candidat nouveau de la droite républicaine, mais vis-à-vis des électeurs de la nuance modérée. L’évolution importante en ce moment, ce n’est pas celle des députés, mais celle des électeurs. Il faudra dire par exemple si, au second tour de scrutin, on entend faire pour la première fois l’alliance entre les ralliés et les républicains modérés, ou entre ces derniers et les radicaux, comme on l’a fait jusqu’à ce jour. Et pour que cette alliance soit possible, il faudra, dès à présent, s’occuper de l’établissement d’un programme commun à ceux que M. Lockroy appelle les tories de la république : opportunistes, libéraux et ralliés. Pour cela, il faudra regarder en avant et non en arrière, laisser de côté ce qui nous a divisés hier et nous préoccuper de ce qui demain doit nous unir : le maintien du concordat, une loi libérale sur les associations, l’établissement d’un sévère équilibre financier, le rôle de l’État, dans les questions sociales, limité à la conciliation possible du capital et du travail.

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet sur certaines promesses chimériques que M. Constans a faites et que personne ne serait en mesure de tenir. Il n’est pas défendu de dire à l’ouvrier : Aide-toi, la république t’aidera…, mais il faudrait savoir jusqu’à quel point et sous quelle