en prie, devant l’avenir, l’attitude de hautaine sécheresse qu’il avait choisie. Ceux qui l’ont le mieux connu ont pu me dire que c’était un « faux sceptique. » Faux sceptique en amour, je l’ai prouvé. Mais, en tout le reste, sceptique véritable, sans atténuation et sans compromis.
Veut-on savoir sa conception de la vie ? Il l’enfermait dans une
farce profonde qu’il a répétée plusieurs fois dans ses lettres. Arlequin tombait du cinquième étage. Comme il passait à la hauteur
du troisième, on lui demanda comment il se trouvait. — « Très
bien, répondit-il ; pourvu que cela dure. » La vie est une chute.
D’où tombons-nous et où tombons-nous ? On ne sait. Dans une seconde, nous aurons les reins cassés, mais on est si bien en l’air !
C’est là une dure philosophie : souhaitons que l’humanité en trouve
une meilleure. Quoi qu’il en soit, Mérimée est à peu près le seul,
dans notre pays et dans notre siècle, qui, loin de s’envelopper de
réticences et de métaphores, ait voté la mort de l’Être suprême « sans
phrase, » avec la destruction de tous les systèmes idéalistes qui
s’y rattachent. Nihiliste sans défaut, il n’a eu ni un mot de regret
pour les doux symboles du passé, ni une parole d’admiration pour
le magnum opus de la science, pour le temple immense de l’avenir
qu’il voyait sortir de terre autour de lui. Il s’est tenu droit et debout, toute sa vie, sur cette crête étroite et vertigineuse de la négation absolue où il est affreux de monter. Bien que la mode soit
ailleurs, il me semble que cette attitude ne manque pas de grandeur. Grand ou non, il a été sincère envers tous, dans un temps
où la plupart des hommes se mentent à eux-mêmes. Il a aimé, à
la façon de jadis, la bravoure, l’esprit, le plaisir et l’art. En sorte
que cet homme, qui s’est tant moqué des Français, demeure le
type du Français d’autrefois. Sera-ce un titre à l’estime, ou seulement à la tolérance, des Français d’aujourd’hui et de demain ?