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mort, Paris ignora longtemps sa disparition. L’Académie recula jusqu’aux dernières limites du possible et du décent, peut-être un peu au-delà, le jour où il lui fallut entendre son éloge ; soit timidité, soit rancune envers un homme qui avait vu des personnages très vains en de très humbles postures. Dans un discours qui rendait mal justice aux mérites littéraires de Mérimée, M. de Loménie se fit pardonner sa tiède bienveillance envers le mort par un brûlant panégyrique de M. Guizot et de M. Thiers. On loua sur sa dépouille les ennemis implacables de ceux qu’il avait aimés, et on jeta en rougissant un voile sur cette partie de sa vie qui l’honore le plus, parce qu’elle montre la hauteur et la constance de son caractère.

Je ne sais si les impressions de lecture, semées dans ces pages, pourront aider en quelque chose les historiens de la littérature à préparer les considérans d’un jugement définitif. C’est surtout la psychologie de Mérimée que j’ai éclairée de mon mieux. Je ne pense pas être tombé dans le défaut ordinaire des biographes qui admirent et justifient tout de leur héros. Je me demande même si je n’ai pas quelquefois abusé de la liberté que ce grand railleur nous a laissée de le railler à notre tour. Mais j’ai prouvé, je crois, qu’il possédait, au plus haut degré, la franchise, l’unité de vouloir, la fidélité à soi-même et à ses amis.

L’impression qui domine, quand on le quitte, c’est celle de l’élégance. Élégance de mœurs, d’esprit, d’expression. Cousin disait de lui que « c’était un gentilhomme. » Or Cousin s’y connaissait ; il comprenait et aimait les gentilshommes pour avoir beaucoup pratiqué les cuistres. Quand on y songe, la vie intellectuelle et l’intimité avec les idées devraient faire naître une aristocratie ; c’est l’homme de lettres qui devrait être le gentilhomme moderne. Par malheur, il n’en est rien. Mérimée est un des rares qui donnent l’idée d’un marquis de la plume. Il est gentilhomme par les petits et par les grands côtés. Il en a les préjugés, les affectations,. les dédains ; il a aussi la simplicité de manières, la bonté envers les petits et ce délicat sentiment de l’honneur, parfum qui survit à une société évanouie. Il était très fier ; je souhaite à ceux qui servent aujourd’hui la majesté populaire de ne jamais se courber plus bas que n’a fait ce courtisan et de ne point placer plus mal que lui leurs respects et leur dévoûment.

Je devrais peut être m’arrêter ici, le laisser sous le bénéfice de cette phrase attendrie qui l’a montré, à quelques jours de sa mort, pleurant sur les malheurs de la patrie. Mais ce serait fausser son portrait et presque offenser sa mémoire, en lui attirant des hommages ou des pitiés dont il n’eût pas voulu. Laissons-lui, je vous