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contre lesquelles il n’a jamais osé entreprendre une campagne en règle. Tous ceux qui ont quelque connaissance de Madagascar savent que, pour transformer l’état de choses actuel en une pleine possession, il faudra une grande expédition militaire. Ce n’est pas une poignée de gendarmes, fussent-ils à cheval, comme le demandait un député, qui pourraient changer la face des choses. On devrait envoyer une dizaine de mille hommes et dépenser une centaine de millions. Et pourquoi ? Il n’y aurait pas un colon de plus. Partout où la colonisation se porte, il faut l’appuyer, comme à Fort-Dauphin et à Tamatave ; mais il est impossible de la décréter à coups de fusil. Les parlementaires les plus enragés d’ailleurs à recommander une action énergique ne seraient-ils pas aussi les plus déterminés à refuser les crédits indispensables ?

Question d’argent ! question débattue aujourd’hui par tout le monde entre les peuples et les gouvernemens. C’est une question d’argent qui s’agite au fond des élections allemandes, et il se peut bien que ce soient des intérêts d’argent qui en procurent la solution. C’est aussi sur la question d’argent qu’a sombré le ministère Tricoupis, en Grèce. Comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, la Grèce connaît cette ignoble mélancolie qui naît des embarras pécuniaires. Comme eux, la Grèce doit solder, à l’aide d’emprunts extérieurs, le paiement des intérêts contractés en une monnaie n’ayant pas cours chez elle. De 1884 à 1893, la circulation fiduciaire, qui était dans ce petit pays de 88 millions de drachmes, a augmenté de 35 pour 100, et le change, qui était alors au pair, est aujourd’hui en perte de 30 pour 100 au préjudice de la Grèce.

D’autre part, le déficit moyen du budget a été de 45 millions, auxquels il a été pourvu par l’emprunt. Le gouvernement hellène, voulant s’arrêter sur cette pente, a demandé des conseils à Paris et à Londres. Les commissaires envoyés à Athènes ont cherché des remèdes et rédigé des rapports, où ils envisageaient toutes les solutions. La plus simple, c’était assurément la faillite, et il ne manquait pas de gens en Europe pour la recommander au roi George. Mais le peuple grec a de la fierté, il voudrait faire honneur à sa parole. Le souverain avait brusquement cassé, il y a un an, M. Delyannis ; il avait dissous la chambre, et, après avoir confié le pouvoir pendant quelques semaines à un membre du tiers-parti, M. Constantopoulo, il avait appelé de nouveau aux affaires M. Tricoupis, dont le premier devoir paraissait être de rétablir l’équilibre dans le budget. Le passé de M. Tricoupis semblait le mal préparer à cette tâche. Il avait toujours voulu faire grand ; le pan-hellénisme, — car il y a un pan-hellénisme comme il y a un pan-slavisme, un pan-germanisme et même un pan-serbisme, — avait été son rêve ; il avait beaucoup sacrifié à sa propagande dans les Balkans.

Cependant il faut lui rendre cette justice que, depuis son retour au