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faits d’une toile lisse fortement tendue. Presque aussi longue que le ballon, qui avait 50 mètres de pointe en pointe, cette nacelle remplissait à peu près l’office de la quille si ingénieuse du premier ballon Giffard, et contribuait ainsi puissamment à la stabilité. Le ballon lui-même cubait 1 860 mètres ; il était, bien entendu, muni du ballonnet à air, devenu un organe indispensable. Quant à sa forme, elle s’écartait des précédens suivis jusqu’alors. Ce n’était ni l’ellipsoïde de Meusnier, ni les fuseaux plus ou moins allongés, mais toujours symétriques, de Giffard, Dupuy de Lôme ou Tissandier. Renflé, à peu de distance de la pointe avant et allant en s’amincissant vers l’arrière, le ballon de MM. Renard et Krebs, — que les visiteurs de l’Exposition de 1889 se rappellent certainement, — avait assez bien l’aspect d’un gigantesque cigare de Manille.

Les inventeurs, qui paraissent être, comme l’était Giffard, de la tribu des silencieux, n’ont pas fait connaître les motifs qui les ont poussés à adopter cette forme quelque peu imprévue. Elle est l’objet d’ardentes discussions parmi ceux qui, par goût ou par profession, étudient ou pratiquent l’aéronautique. — Elle augmente la résistance, disent les uns. — Elle accroît la stabilité, répondent les autres. — Voyez la proue tranchante des navires, reprennent les premiers. — Et la tête du poisson, exclament les Féconds, avez-vous jamais considéré où elle est placée ? — Voire, réplique-t-on de l’autre côté : votre prémisse n’est pas complète. La tête est grosse, il est vrai ; mais la queue frétille, ce qui change bien les choses. En est-il de même de votre ballon ? Puis, invoquant certaines hypothèses qui, nouvelles venues dans la science, ont encore besoin de vérification, on affirme que le Fabricateur Souverain se préoccupe plus de varier le nombre des espèces que d’en assurer la perfection. — Des argumens du même ordre sont produits par les tenans du gros bout. — Et gros-boutiens et petits-boutiens ne sont pas ici plus près de s’entendre qu’ils ne l’étaient aux merveilleux empires de Lilliput et de Blefascu.

La vérité ici, comme en presque tout ce qui touche à la navigation aérienne, c’est que, faute d’expérimentations suffisantes, la science ne peut jusqu’ici fournir d’indications précises. Le fait qui aurait, dit-on, déterminé les gros boutiens est connu sous le nom d’expérience des petits solides. Elle n’est rien moins que concluante. Ce n’est pas en projetant dans l’eau des figures géométriques en ébonite, mesurant quelques décimètres à peine, qu’on pourra déduire de l’allure qu’elles prendront, celle qu’aurait dans l’atmosphère un ballon de forme semblable, mais deux ou trois cents fois plus gros. Il semble donc que les petits-boutiens soient recevables à demander une autre expérience dans laquelle le ballon de Chalais