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LA NAVIGATION AÉRIENNE.

dit lui-même ; cela était prévu d’avance et démontré par le calcul. Mais j’ai opéré avec le plus grand succès diverses manœuvres de mouvement circulaire et de déviation latérale. »

Encouragé par ce commencement, Giffard renouvela l’expérience. L’aérostat dont il se servit dans cette seconde ascension était de moindre capacité, mais plus allongé que le premier, toujours d’ailleurs en forme de fuseau symétrique. Il supprima la quille, ce qui était fâcheux au point de vue de la stabilité, déjà diminuée du fait de l’allongement. Une mauvaise chance fit, en outre, rencontrer à l’aéronaute dans les hautes régions de l’atmosphère un vent fort violent que rien, comme cela arrive souvent, ne faisait prévoir en bas. Il fallut redescendre. Comme la nacelle touchait terre, le ballon, subitement allégé, se redressa tout d’un coup et s’échappa du filet. C’était en 1855.

D’autres préoccupations occupèrent pour un temps l’esprit de l’inventeur.

Giffard fut, dans l’acception ordinaire de la locution, un fils de ses œuvres. Il ne sortait d’aucune école. Ce qu’il sut, il voulut le savoir, et l’apprit seul. On a dit de lui qu’il était réservé, solitaire, taciturne et même misanthrope. C’était plutôt un esprit méditatif et recueilli, ayant besoin de calme et de silence, et redoutant de perdre son temps en propos qui ne servaient pas sa pensée. Lorsqu’il fut devenu riche, — car, exception digne d’être notée, Giffard ne fut pas un de ces inventeurs que la fortune délaisse, — sa main comme son cœur s’ouvrirent largement. En annonçant sa mort à l’Académie des Sciences, J.-B. Dumas ajoutait : «… Le noble usage qu’il faisait de sa fortune pour les autres, le peu de jouissance qu’il en réclamait pour lui-même, assurent à sa mémoire le souvenir reconnaissant de tous ceux dont il avait entendu les plaintes et soulagé les souffrances. »

Ce ne sont pas cependant les ballons qui ont enrichi Giffard. La fortune lui vint principalement de son injecteur, merveilleux instrument avec lequel, devançant toute théorie, l’inventeur remplaçait l’appareil encombrant et quelquefois capricieux des pompes d’alimentation des générateurs de vapeur. La chaudière elle-même pourvoirait désormais à ses besoins, sans qu’il y ait à mettre en mouvement aucun organe mécanique ; un jet de sa propre vapeur irait, actif pourvoyeur, chercher l’eau nécessaire, l’entraînerait avec lui, et, malgré la différence des pressions, la ferait pénétrer dans la chaudière. Cet effet singulier causa une vive surprise. Ce ne fut que plus tard, quand la théorie mécanique de la chaleur fut constituée, qu’on parvint à l’expliquer. Mais le fait n’en était pas