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penser qu’une politique personnelle et secrète fût permise et possible à un ministre de la reine. Ce n’était donc pas des plans de conduite, ni des ébauches de traités qu’il demandait, mais des renseignemens sur l’état de l’opinion, et, sur ce point, un numéro du Times lui en disait plus qu’une lettre, de Panizzi. La plus élémentaire prudence lui conseillait même de n’accepter que sous bénéfice d’inventaire toute information qui lui parvenait par ce canal. Il ne crut jamais qu’un homme qui avait déjà deux patries, l’Italie et l’Angleterre, pût réserver à la France et aux intérêts français le meilleur de son dévoûment.

La vérité, c’est qu’il ne vit plus très clairement sa route dans la question italienne, à partir de 1860, après l’échec de la combinaison qui faisait le pape président de la confédération italienne et qui n’eut jamais d’autre partisan que son inventeur. Placé entre ses intérêts et ses sympathies, entre les catholiques qui l’avaient porté au trône et les révolutionnaires qui voulaient l’en faire descendre, donnant secrètement raison à ses ennemis contre ses amis, menacé de l’autre côté du Rhin par un péril que, le premier, il vit grandir, il chercha le salut dans la politique de bascule et de non-intervention, et mit autant de soin à cacher sa pensée qu’il avait mis, jusque-là, de vigueur à l’affirmer. Le ministère anglais, de son côté, vivait au jour le jour et dans la peur des élections. L’unité italienne se fit toute seule, moins par le talent de ses hommes d’État que par les sottises de ses aventuriers et de ses enlans perdus.

Donc, ces négociations prétendues ne furent que des conversations. Mérimée le sentit bien vite et s’en arrangea. Sa seule prétention était de comprendre l’Angleterre mieux qu’un autre, de s’y plaire et d’y être bien reçu. Depuis 1856, il avait pris l’habitude de passer à Londres une partie de la saison. Invité à un banquet du Literary fund, qui réunissait l’élite des écrivains (mai 1858), il répondit en fort bon anglais à un toast qu’on lui adressa. En 1862, il était membre du jury de l’Exposition universelle. « Comme j’ai beaucoup barbouillé de papier dans ma vie, tant avec la plume qu’avec le pinceau, on m’a chargé des papiers peints[1]. » Il donne une idée assez amusante des séances de la commission : « Nous nous disputons beaucoup, nous ne faisons pas grand’-chose de bon, et souvent nous sommes très injustes. Nous avons pour président un Allemand qui parle un anglais absolument incompréhensible. Nous avons des Italiens et des Belges qui ne savent que le français. Enfin arrive un diable d’homme qui doit venir de bien loin, lequel ne parle aucune langue connue. Vous jugez de

  1. Correspondance inédite avec la comtesse de Montijo, 3 juin 1862.