Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/569

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendance et de l’unité italiennes, Napoléon III les réalisa à coups de canon. Rien n’est plus plaisant que la mauvaise humeur d’un homme qui a longtemps prêché une idée et qui proteste contre elle lorsqu’il la voit accompUe par un rival, et, dans cette posture, les gouvernemens ne sont pas moins ridicules que les individus. L’Angleterre accentua ce ridicule par la formidable levée de boucliers des volontaires, prêts à mourir pour une patrie que personne n’attaquait. L’empereur ne donna pas plus d’attention à cette campagne de toasts qu’il n’avait fait, dix-huit mois plus tôt, à l’hospitalité protectrice offerte à ses assassins. Dans le temps où lord Palmerston donnait cours à ses rodomontades, Cobden, Rouher et Michel Chevalier, assis autour d’une table dans une maison de la rue de Poitiers, discutaient paisiblement les bases du traité de commerce.

C’est dans ce moment, peu favorable, on en conviendra, que Panizzi entreprit de négocier secrètement, à ses risques et périls, pour amener, dans les affaires italiennes, une action commune de la France et de l’Angleterre, action qu’il jugeait nécessaire à la constitution définitive de l’Italie. Mérimée remit à l’empereur une première lettre du diplomate improvisé, puis une seconde. Panizzi fut invité à Biarritz ; c’était le terrain préféré de l’empereur pour la politique extra-officielle. L’administrateur du British Museum déploya tous ses talens de bouffon et de courtisan. Bien des années après, j’ai encore trouvé l’écho des drôleries et des gentillesses de ce maître amuseur, qui, de son côté, parut s’amuser beaucoup. Il prit part à plusieurs excursions dans la montagne ; il en fut l’âme et la joie. Il partit de Biarritz, radieux, enchanté de ses hôtes, et, si son voyage avait été un fiasco politique, nul n’en sut rien, pas même son visage.

La correspondance reprit ensuite, mais il ne semble pas que l’empereur s’en tourmentât beaucoup, car nous voyons qu’il garda huit jours une lettre de Panizzi sans l’ouvrir. Lorsque Mérimée était dans le Midi, les lettres passaient par M. Fould, et, après la démission de M. Fould, par le docteur Conneau. Qu’advint-il de tous ces efforts, prolongés pendant deux ou trois ans ? Rien, absolument rien.

M. Louis Fagan, dans la préface des Lettres à Panizzi, compare le rôle de Napoléon III, en cette circonstance, à celui que le duc de Broglie lait jouer par Louis XV dans le Secret du roi. C’est, je crois, méconnaître la différence des caractères et des situations. Admettons un instant que l’empereur pût prendre plaisir à ce jeu dangereux, qu’il ne se sentît pas aussi parfaitement maître de sa politique étrangère avec des ministres comme Drouyn de Lhuys et Thouvenel qu’il l’était de sa politique intérieure avec un Billault ou un Rouher. Il connaissait trop bien l’Angleterre pour