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les dernières nouvelles des Tuileries ou qu’il rapportât aux Tuileries les messages affectueux et les impressions toutes fraîches de Madrid et de Carabanchel. Ces jours-là, l’impératrice s’emparait de lui, le faisait asseoir à son côté, l’interrogeait impétueusement en espagnol, puis traduisait toutes ses réponses à l’empereur. Il est bien peu d’hommes dont une telle situation n’eût chatouillé l’amour-propre ; pourtant je ne trouve aucune trace de ce sentiment chez Mérimée à ce moment-là ; soit que son orgueil et sa bonne tête l’aient prémuni contre l’étourdissement des hauteurs sociales, soit que l’humilité fût, après tout, le dernier fonds de cet esprit pour qui tout n’était rien. Quoi qu’il en soit, il raconte ses gloires de cour d’un ton amusé, bonhomme, presque attendri, nullement vaniteux.

Dirai-je le mot ? On le « gâtait. » Il ne s’en étonnait pas, ayant été gâté toute sa vie. Courtisan, il ne pouvait l’être ; il ne l’a jamais été. Il n’a connu, de ce métier, d’autres inconvéniens que de veiller tard, de faire de trop bons dîners et de rester debout quelquefois plus longtemps qu’il ne convenait à des jambes de son âge. Il avait ses humeurs, qui se trahissaient par une respectueuse sécheresse, par certaine raideur silencieuse ; au besoin, il donnait franchement son avis. Blaze de Bury, dans la préface des Lettres à une autre Inconnue, donne un exemple de sa liberté de parole et d’action qui ne me semble pas bien authentique, parce que, dans cette circonstance, Mérimée aurait manqué non-seulement de patience, mais d’esprit. Un Mérimée qui ne comprend pas la plaisanterie n’est pas notre Mérimée. Dans une lettre à Panizzi, écrite pendant un séjour à Biarritz, il se montre fort alarmé d’un voyage que l’impératrice songeait à faire en Espagne et qui lui paraît le comble de l’imprudence. Qui lui avait soufflé ces inquiétudes ? Il faut avoir vécu auprès des princes pour savoir combien il y a, dans l’atmosphère qui les entoure, de plaintes fausses, d’anxiétés chimériques, de gémissemens affectés et ridicules. Mérimée y fut pris et se laissa pousser en avant. Il parla à l’empereur, lui exposa tous les périls de ce terrible voyage, qui eut lieu et se passa admirablement.

Bien entendu, je ne fais pas à Mérimée une gloire d’avoir souvent contredit l’impératrice. C’était si facile, si peu dangereux, même pour des hommes infiniment moins autorisés qu’il ne l’était ! Avec l’empereur, le cas était différent. Ici j’arrive au plus délicat de mon sujet, aux sentimens de Mérimée pour Napoléon III.

Dans la seconde partie de ces études, on l’a vu montrer une sympathie médiocre pour celui qu’il appelait « notre pauvre président. » Le 2 décembre modifia sa manière de voir. Ses amis