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devenir un bon chimiste ; des attaques d’épilepsie énervèrent sa raison.

La réputation du savant le signala au Comité de salut public ; il fut réquisition né pour venir diriger à Paris la fabrication des poudres et salpêtres. Faute de poudre, les quatorze armées de la République étaient arrêtées dans leur marche ; en quelques mois, Chaptal mit ce service à la hauteur des besoins. Absorbé par ses travaux à la poudrerie de Grenelle, qu’il avait créée de toutes pièces, il se tint prudemment à l’écart des agitations révolutionnaires ; et il échappa à l’effroyable explosion de son établissement, où cinq cents victimes disparurent sans laisser de traces. « L’étoile qui me protégeait contre les fureurs de l’anarchie voulut bien encore, par une espèce de miracle, sauver ma tête dans cette circonstance. » — Après les mauvais jours, il liquida ses usines de Montpellier et reprit ses études à Paris, où l’Institut l’avait appelé. La chimie agricole lui dut alors quelques-unes de ses plus utiles conquêtes, les principes appliqués aujourd’hui encore pour l’amélioration des vins, les premiers essais pratiques pour tirer le sucre de la betterave.

Ces grands services le désignèrent à l’attention de Bonaparte ; « quand arriva, nous dit Chaptal, cet heureux événement qui releva le courage abattu des Français et fit concevoir les plus belles espérances. En ce moment, les armées ennemies, russes et autrichiennes, menaçaient les frontières du Nord et du Midi. L’armée française, peu nombreuse et découragée par des revers, ne pouvait ni arrêter, ni retarder la marche de l’ennemi. La nouvelle se répand que le général Bonaparte vient de débarquer à Fréjus. L’espérance renaît dans tous les cœurs, et chacun appelle par tous ses vœux le héros de l’Italie à la tête du gouvernement. Le 18 brumaire débarrasse la France d’une administration impuissante, le peuple place l’autorité dans les mains de l’homme qui faisait sa gloire et son espoir. Tout change : la force succède à la faiblesse, l’ordre remplace partout l’anarchie, et, en trois mois, on organise un gouvernement fort, éclairé ; on réunit dans les administrations les hommes instruits, zélés et courageux, que les factions avaient écartés ou oubliés. » — Voilà bien le sentiment que l’on retrouve chez tous les contemporains, chez ces hommes imbus comme Chaptal des principes de la Révolution, — et il l’était très fort, — mais préservés ou revenus du spasme terrible qui avait sauvé la France de l’invasion étrangère, qui finissait en râle de faiblesse devant le retour offensif de l’ennemi, devant la gangrène des organes internes.

Notre auteur avait d’ailleurs de bonnes raisons pour apprécier le sort fait aux « hommes instruits et zélés. » Nommé conseiller d’État, et bientôt ministre de l’intérieur en remplacement de