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la menue monnaie a disparu ; pour l’or, il y a longtemps qu’il est mythologique. Les coupures de papier font prime : les banques chancellent ou sont en réparation. La Sicile, la Sardaigne, les Fouilles sont infestées de brigandage : « Que de pauvres, eût gémi le saint, s’en vont tout nus à vau la ville et n’ont pas de quoi se couvrir ! » Pour les noces d’argent comme pour le carnaval, on a porté les matelas au mont-de-piété, et ce ne sont pas 500,000 francs qui les rachèteront, qui guériront des plaies aussi profondes. Le roi a reçu, à l’occasion de son jubilé, 22,000 demandes de secours. Comme son cœur a dû saigner ! On a même imploré la pitié de l’hôte impérial, de Guillaume II, qui a charge du peuple, lui aussi.

Parmi les poésies inspirées par la circonstance, il en est de terribles dans leur concision. Si la sécheresse ne ruinait que les récoltes, mais c’est encore pour le trésor des États une année de grande sécheresse, et le songe de Pharaon en prévoyait sept. Atteindrons-nous la septième sans accident ? C’est le poignant et angoissant problème. Ne précipitera-t-on pas la course aux abîmes, comme ces machines américaines, qui tentent de franchir à toute vitesse les ponts vermoulus ?

On est bien contraint de l’avouer, s’il y a une logique au monde, de l’excès des armemens naîtra nécessairement la guerre. Et cependant, ne désespérons pas. Aux fêtes de Rome, ainsi qu’il est d’usage, on a, entre souverains, échangé de petits présens. Le roi a donné à l’empereur, pour le régiment des hussards hessois, un groupe qui représente un officier de lanciers italiens rendant le salut à un officier allemand. L’empereur a donné au roi une statuette qui figure l’Italie, avec cette devise sur le socle : « Toujours en avant, la Savoie ! Sempre avanti, Savoja ! » Le pape n’a donné que des bouquets de roses. Duquel de ces présens royaux sera-t-il fait largesse à l’Europe ? Du bronze ou des fleurs, de la guerre ou de la paix ? Si c’est des roses, nous le saurons quand viendra l’été. Se sono rose, fioriranno.


Charles Benoist.