Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non plus le kronprinz Frédéric, mais l’empereur Guillaume II, en 1888.

Les sévérités redoublèrent. On n’accepta même plus que l’empereur déjeunât au palais Cafîarelli, chez son ambassadeur près le roi d’Italie, avant de se rendre au Vatican. Il déjeuna chez le ministre de Prusse près le saint-siège, au palais Capranica, à Sant’ Andrea della Valle. Les invités étaient : le cardinal Rampolla, secrétaire d’État du souverain pontife, le cardinal Hohenlohe, oncle de l’empereur, et d’autres dignitaires des cours pontificale et impériale. Guillaume II porta un toast à sa sainteté ; le cardinal Rampolla remercia par un toast à l’empereur. Après quoi, le cortège s’ébranla. L’empereur marchait en tête, avec M. de Schlœzer, dans une Victoria découverte à deux places, garnie de blanc, qu’on avait tout exprès envoyée de Berlin. Les chevaux, les harnais, les postillons et les piqueurs avaient été, eux aussi, amenés tout exprès. L’empereur portait l’uniforme blanc du régiment des gardes du corps, les grosses épaulettes, la culotte de peau de daim, le casque doré, surmonté de l’aigle prussienne. M. Crispi, sans avertir personne, avait fait occuper militairement les rues. Depuis le palais Capranica jusqu’à la Porte-de-Bronze, il y avait une double haie de troupes : la circulation était interdite et le resta pendant plusieurs heures. Le ministère prétendait se conformer de la sorte aux prescriptions de la loi des garanties, qui veut que les honneurs souverains soient rendus au pape et aux souverains qui vont faire visite à ce souverain. Mais pour que l’empereur ne s’y trompât point et vît bien que cette souveraineté du pape ne commençait qu’à la Porte-de-Bronze, — au-delà de cette porte, — les cercles anticléricaux avaient eu soin d’orner d’inscriptions le pont Saint-Ange, de tapisser le Borgo, et c’est à peine s’ils n’avaient pas pavoisé la colonnade.

L’entrée de Guillaume II au Vatican fut attristée par un fâcheux présage ; les journaux le notent aujourd’hui encore, après cinq ans passés. Ailleurs, on n’y eût pas pris garde ; en Italie, même au Vatican, on en éprouva du malaise. Comme l’empereur voulait donner la main à Léon XIII qui s’avançait à sa rencontre, embarrassé qu’il était du présent destiné au pape, il laissa choir son casque : accidente ! Léon XIII conduisit aussitôt Guillaume II dans son cabinet. Ils n’y étaient pas depuis dix minutes que le prince Henri de Prusse, frère de l’empereur, survint, en compagnie du comte Herbert de Bismarck. On sait le reste ; on sait comment le comte Herbert força la consigne et fit pénétrer de haute lutte le prince Henri dans le cabinet du pape, déclarant qu’un prince de Prusse ne doit jamais attendre. Obéissait-il réellement à une consigne reçue de son père, qui craignait « que l’empereur ne se laissât