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dans le sol qui s’échauffe, les germes des vieilles épidémies. Les ministres de Victor-Emmanuel gardaient pourtant une certaine réserve. Ils ne payaient qu’avec des fleurs. Pour la lutte contre le pape, ils ne voulaient pas s’y jeter à corps perdu (ce qui n’est pas d’ailleurs du caractère italien) avant d’avoir épuisé toutes les chances de conciliation. Entre ces deux solutions : se faire les ennemis du pape ou se faire du pape un ami, c’était la seconde qu’on préférait, et seulement à défaut d’elle on adopterait la première, et encore doucement, avec prudence ; il faudrait voir. De même vis-à-vis de la France : sans doute, l’Italie ne serait pas de son côté ; chaque jour, depuis 1860, et chaque fait l’éloignaient d’elle ; mais, contre elle, il faudrait voir ce qu’on y gagnerait. M. de Bismarck avait demandé sans offrir ; l’Italie voulait bien offrir, mais elle avait quelque chose à demander.

M. Minghetti se dit, — il avait son plan, — qu’on serait mieux pour en causer à Rome, et c’est ainsi qu’à la veille des élections il fit sonder le ministre d’Allemagne, M. de Keudell : Est-ce que l’empereur ne pensait pas pouvoir rendre bientôt à Victor-Emmanuel la visite qu’il avait reçue ? Et discrètement, timidement, presque en tremblant, il enfonçait la sonde : Ne serait-ce pas à Rome qu’elle serait rendue, cette visite ? À ce point, nous voyons reparaître l’artisan laborieux de toutes ces besognes politiques, Michel-Angelo Castelli.

Dans une lettre datée de Turin, 28 septembre 1874[1], M. Minghetti fait de nouveau appel à ses bons offices. Une conversation récente avec M. de Keudell l’avait confirmé dans son opinion, à savoir qu’il était « d’une extrême importance politique que sa majesté l’empereur d’Allemagne rendît sa visite au roi ; qu’il fallait faire tous les efforts pour que l’empereur vînt à Rome, parce que, là, cette visite aurait une pleine signification, tandis que, dans toute autre ville, elle perdait grandement de sa valeur. » Venir à Florence et pas plus loin, sous prétexte de santé, n’était pas admissible : en effet, l’empereur irait certainement chasser à San Rossore. Or, de San Rossore à Rome, il n’y a que sept heures. Rebrousser chemin pour sept heures, ce serait délier les langues ; les commentaires malins iraient leur train. Si la santé de l’empereur l’exigeait à toute force, il vaudrait mieux choisir Milan, ou même Vérone ; l’indispensable est de rendre au roi la visite qu’il a faite ; de Milan ou de Vérone, on s’expliquerait que l’empereur, âgé et souffrant, ne descendît pas jusqu’à Rome.

M. de Keudell, ajoutait Minghetti, en est persuadé, et il est allé à Varzin en faire part à Bismarck. Et le président du conseil des

  1. Luigi Chiala, ouvrage cité, p. 189.