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premières familles de la province, des Vergy, des Ray, des Gorrevod, des Grammont, des fils de ducs, de princes et de puissans barons venus d’Allemagne, des Flandres, de Savoie, d’Italie même et d’Espagne. L’inscription est gratuite ; mais, tandis qu’à Paris les élèves ne connaissent pas de distinction et, par exemple, doivent assister pêle-mêle aux leçons, sur le sol jonché de paille, non sur des bancs et des escabeaux, ceux de Dole se divisent en deux classes, nobles et roturiers ; les premiers ont voix délibérative dans le collège, une place distinguée aux cours, ils prennent rang après les abbés, avant les licenciés dans les cérémonies publiques, composent les députations d’honneur envoyées aux souverains, ont deux docteurs pour maîtres d’armes, forment une véritable caste. Pour faire partie de la classe noble, il suffit, d’ailleurs, d’être connu ou revêtu de quelque charge : gnotus, vel in dignitate vel in officio constitutus, mais il faut avoir un appartement en ville, un compagnon d’études, deux valets destinés à suivre partout leur maître, à porter ses livres au cours. Au-dessous, les roturiers, ignoti, partagés en deux catégories, étudians du dehors ou étrangers, étudians de la cité ou indigènes : ils logent en ville et l’Université intervient pour la fixation des loyers ; docteurs et régens sont autorisés à loger et à nourrir les écoliers dans leur propre domicile. Cujas lui-même ne tenait-il pas pension à Valence ? Et l’on rapporte à ce propos que les élèves quittaient trop volontiers son cours pour rendre visite à sa fille, qui était belle et un peu coquette ; ce qu’ils appelaient assez joliment : commenter les œuvres de Cujas. D’après un article des statuts, lorsqu’un écolier ou un maître meurt sans testament, le recteur, le procureur-général, le syndic, dressent inventaire en présence du mayeur de la ville, et si, dans le délai de six mois, les héritiers avertis ne se présentent point, le collège s’approprie l’héritage mobilier du défunt. Tout est réglé à l’avenant, et de la façon la plus minutieuse : vêtement, nourriture, jeux et plaisirs, repas à l’occasion des grades de licencié ou de docteur ; mais point de règlemens1 qui tiennent devant la fougue de la jeunesse, et, pour la turbulence, les écoliers comtois ne le cèdent guère à ceux de Paris. Un jour, ils distribuent force horions au bailli de Dole accouru pour apaiser une échauffourée ; une autre fois, ils livrent bataille aux habitans d’Auxonne, ou bien encore ils présentent requête au parlement contre un professeur qui a traité l’un d’eux « d’oyson, d’enfant, de sot, d’impudent, » avec accompagnement de soufflets ; — et ce fut toute une affaire. Le duc d’Albe ayant enlevé aux membres du collège le droit de participer à l’élection du recteur, une émeute véritable éclate ; car, à Dole, comme dans la plupart des écoles de ce genre, la juridiction du recteur embrassait à la fois le civil et le criminel, ne pouvait être déclinée par un défendeur étranger à