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le bâtiment et la fondation des escoliers boursiers du collège de Bourgogne, fondé à Paris, elle mériterait éternelle louange, et que tous les gens de bien, mais principalement ceux qui ont pris institution et nourriture en cette maison, publiassent ce beau fait. » C’est, en effet, son grand œuvre. Le collège occupait l’emplacement de l’École de médecine ; on y devait admettre gratuitement vingt étudians pauvres capables de philosophie, natifs du comté de Bourgogne ; sur la porte se détachait l’image de la reine « au plus près du naturel, comme l’on peut encore le voir, en habit antique et en lace, qui porte une douce grandeur. » Le nombre des bourses s’éleva progressivement à quarante-six, mais en 1804 tout fut confisqué par le premier consul qui se servit des dotations pour créer le Prytanée militaire.

L’histoire des abbayes, de l’archevêché de Besançon pendant ces trois siècles, leurs démêlés avec les barons et l’empereur, font mieux comprendre une belle réponse de saint Bernard auquel on présentait une liste de candidats pour le gouvernement d’un grand monastère. Qu’est-ce que le premier ? interroge-t-il. — Sanctissimus (le plus saint). — Orel (qu’il prie). Et le second ? — Doctissimus (le plus savant). — Doceat (qu’il enseigue). Et le troisième ? — Prudentissimus (le plus habile). — Regat (qu’il gouverne). — L’abbé, seigneur féodal, chef de ses moines[1] et d’une nombreuse population agricole, fournit au prince des hommes, des denrées ou de l’argent selon un tarif convenu ; il est associé aux grands feudataires. La possession des principales chaînes de nos montagnes, les biens de son couvent, excitent la convoitise des voisins, et comme des guerres presque perpétuelles offrent de fréquentes occasions de pillage, la religion, la trêve de Dieu, l’excommunication même, le garantissent très imparfaitement. Combien de ménagemens, quelle dextérité ne fallait-il pas pour mener sa barque à travers tant d’écueils ! C’était bien pis pour les archevêques de Besançon, placés en présence d’une population indocile et fière, obligés de faire face au danger extérieur et intérieur, guettés par les comtes et l’empereur. Encore s’en tirait-on avec ceux-ci au moyen de quelque tribut, une amende ou des dons volontaires, un partage de suzeraineté ; mais les habitans se montrent merveilleusement indépendans, et c’est un spectacle digne d’attention que celui de leurs luttes contre l’oppression. L’Allemand Hubert, protégé de l’empereur Barberousse, veut-il s’attribuer le monopole du commerce de l’argent, le peuple se soulève, met le feu aux

  1. Au début du moyen âge, la desserte des paroisses se fait en général par des moines, le servage, la mainmorte personnelle ne se prêtant guère aux vocations ecclésiastiques.