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l’épopée, à l’histoire par la grandeur morale et l’héroïsme de la fidélité[1].


Il était le plus grand qui fut en toute France…
Il avait cent chasteaux et dix cités pour somme.
De notre région que l’on appelle Galle,
Tenait-il presque autant que faisait le roi Challe.


Charles le Chauve comprit le danger, dissimula un temps, marquant de loin sa proie, et lorsque, ayant fait agir la ruse, l’or, les promesses, il se sentit prêt, il entra en campagne avec une immense armée. Le 30 octobre 870, il était à Champlitte et s’emparait bientôt de Château-Chalon, forteresse romaine importante, ancien séjour des patrices de Scoding. Vainement Gérard adresse-t-il à l’empereur Louis les messages les plus pressans, celui-ci combat en Italie pour le salut de la chrétienté mise en péril par les Sarrasins : réduit à ses seules ressources, affaibli par la trahison, Gérard livre bataille au pied de Château-Chalon, et, vaincu malgré des prodiges de valeur, on l’emporte sanglant dans son château de Poligny. Poursuivi par l’ennemi, plus que froidement accueilli à Besançon par l’archevêque Arduin, il gagne les montagnes du Doubs, rallie autour de son étendard la population guerrière de la contrée, prend position au pied des murs de Pontarlier. Là s’engage une nouvelle et plus terrible bataille, où le nombre eut encore raison de la valeur ; mais l’impression en resta si profonde qu’elle se transmit de siècle en siècle ; et, dit Gollut, les bonnes gens du pays montrent un lieu du territoire de Pontarlier où ils racontent que Gérard fut vaincu. On crut même qu’il avait péri dans le désordre de la déroute, et, il y a trois cents ans, les montagnards du Jura chantaient encore le vieux refrain


Entre le Doubs et le Drugeon
Morut Gérard de Roussillon.


Mais le comte de Bourgogne vivait encore : après s’être un instant reposé au fort de Joux, il s’était enfermé à Jougue, tandis que, traversant le comté de Scoding et le Lyonnais, l’armée du roi Charles venait assiéger la ville de Vienne que défendait Berthe, femme de Gérard, avec un courage égal à celui de son époux. La trahison ouvrit les portes de cette place et le roi y passa les fêtes de Noël de l’an 870. Deux mois avaient suffi pour terminer cette rude campagne. Privé de ses dignités et de ses honneurs, Gérard vécut désormais dans la retraite ; et, huit ans après la

  1. Mignard, Gérard de Roussillon ; — Clerc, Gérard de Roussillon, 1869.