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dant des siècles, garde en même temps l’amour de l’indépendance, la fidélité à ses souverains ; sorte de république aristocratique, religieuse et bourgeoise, dont les membres, « gens de gaillarde fierté et de furieuse résolution, » se montrent aussi rebelles au joug, frondeurs, prompts au redressement de leurs griefs qu’acharnés, hélas ! dans leurs rivalités locales ; — mais aussi race ingénieuse et subtile, au génie patient et souple, grande pourvoyeuse d’hommes de talent, qui fournit aux ducs de Bourgogne, aux princes de la maison d’Autriche et aux rois d’Espagne d’excellens capitaines, d’admirables diplomates, comme plus tard elle donnera à la France des savans, des jurisconsultes, des remueurs d’idées, des artistes, des lettrés de premier ordre : Cuvier et Pasteur, Valette et Bugnet, Fourier et Proudhon, Clésinger et Courbet, Charles Nodier et Charles de Bernard. « Notre Bourgogne est formée admirablement de difficultés propices à la défense, elle a des places très fortes et bien munies, elle est entrecoupée et comme retranchée de rivières et de forêts, armée de rochers et de montagnes, fournie très populeusement d’hommes bons à la guerre, opiniâtres au combat, résolus à la mort, et qui, par cy-devant, toujours ont fait profession que, pour leur religion, pour le service de leurs princes et pour la défense de leur pays, femmes, enfans, biens et tombeaux de leurs pères, ils ne craignaient pas de combattre, et, en combattant, de mourir. » Voilà les mâles paroles de notre vieil historien du XVIe siècle, Louis Gollut. Les Comtois du XVIIe siècle devaient justifier un tel éloge en balançant pendant dix ans la fortune de Richelieu, et, il est bon de le répéter, aujourd’hui que les trois départemens du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, qui représentent à peu près l’ancienne Comté, demeurent un des boulevards de la France contre l’envahisseur, de ceux où l’amour de la patrie est le plus profond, où on l’aime sans jactance, avec une piété intelligente, comme une religion qui sortirait plus forte de l’écroulement des autres religions. Et, puisque cette province a couru tant d’aventures, tour à tour gauloise, romaine, burgunde, soumise aux Mérovingiens, aux Carlovingiens, vassale de l’empire germanique, féodale, française, bourguignonne, autrichienne, espagnole, puisque ses barons et ses comtes ont bataillé en terre-sainte et fondé des dynasties en Grèce, puisqu’elle fut ravagée par les Sarrasins et les Hongrois, possédée par Louis XI, envahie par Henri IV et les armées de Louis XIII, deux fois conquise par Louis XIV, et, puisqu’à travers ces métamorphoses elle a gardé vivace une physionomie personnelle, et, si j’ose dire, son génie intime, peut-être n’est-il pas inutile d’en rappeler quelques traits, de mettre en relief l’empreinte réciproque des événemens sur les