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regretteront. Elle était majestueuse, sans rien de théâtral, sévère, sans rien de triste, parfaitement appropriée à sa destination. On se rappelait qu’elle avait excité l’admiration des contemporains de Pascal et de Corneille ; les souvenirs se pressaient à l’esprit quand on la visitait. Personne assurément, si on l’avait conservée, n’aurait été choqué du contraste de ces vieux bâtimens et des constructions nouvelles. Il manque quelque chose aux monumens neufs, surtout quand ils doivent contenir une école, qui a besoin d’une autorité particulière pour s’imposer au respect des jeunes générations. Ces débris vénérables auraient donné à notre Sorbonne ce qu’elle ne peut pas avoir, malgré le talent de son architecte, la consécration du temps, et je suis convaincu que quelques pans de murs noircis auraient bien lait au milieu de nos pierres blanches.

Mais ces regrets sont superflus et la cour d’honneur est condamnée à périr, comme le reste. M. Gréard, qui n’a pas pu la sauver, a voulu au moins, avant que la vieille Sorbonne ne disparût tout entière, nous en rappeler l’histoire et lui adresser un dernier adieu. Personne n’était plus autorisé pour le faire ; depuis quinze ans qu’il l’habite, des liens étroits se sont formés entre elle et lui. Tous ses prédécesseurs, à partir de Robert de Sorbon, lui sont devenus familiers. À force de vivre chez eux, il lui a semblé qu’il vivait avec eux. Pour les mieux connaître encore, pour entrer plus avant dans leur intimité, il a compulsé les archives et fouillé les bibliothèques, il a regardé de près ce qui reste des anciens plans et des vieilles estampes, au besoin même il n’a pas hésité à dépouiller les actes judiciaires, les contrats d’achat ou de vente, les livres de compte. C’était un travail infini, mais qui ne lui a pas semblé pénible, tant il était soutenu par l’affection qu’il éprouve pour la glorieuse maison dont il est l’hôte. De tous ces documens réunis, il a composé un livre aussi intéressant que solide, qui nous présente, au moins dans ses grandes lignes, l’histoire de la Sorbonne. Je ne vois rien de mieux à faire que de me mettre à sa suite, de profiter de ses recherches et d’en communiquer l’essentiel au public.


I

M. Gréard a très bien montré que la Sorbonne est sortie d’une pensée généreuse et libérale. Il me semble que ce souvenir doit plaider pour elle et la protéger un peu contre les reproches qu’on ne lui a pas ménagés. Si on l’accuse d’être devenue à la fin une sorte de citadelle de l’intolérance, il ne faut pas oublier non plus qu’à son origine elle a représenté l’esprit séculier qui essayait de se défendre contre l’envahissement des corporations religieuses.