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du cœur, et le poète Björnson n’a pas craint de dire « qu’il fallait dissoudre l’union dans les consciences. » Quelles que soient les intentions inavouées des radicaux norvégiens, ils paraissent déterminés à repousser tout compromis. Le roi Oscar semble avoir compté sur son ascendant personnel pour mettre à la raison le cabinet que préside M. Steen. Le 17 avril, il arrivait à Christiania. On est entré en négociation et on n’a point abouti. Le 22, le ministère a donné sa démission et la crise est ouverte. Les radicaux se sentent-ils vraiment assez forts pour sortir de la légalité et pousser leur pointe ? Sont-ils certains que la majorité du peuple norvégien les suivrait ? Faut-il croire, comme le prétendent les conservateurs, qu’ils rêvent de convertir la Norvège en république indépendante ? S’il en était ainsi, l’Europe aurait un mot à dire et se croirait autorisée à se mêler de cette question. Le malheur est que, l’Europe étant rarement d’accord avec elle-même, les questions dont elle se mêle ne tardent pas à s’envenimer, que la pneumonie se complique bientôt d’une pleurésie.

Le prince Ferdinand de Bulgarie et le roi Alexandre de Serbie ont fait parler d’eux dans ces dernières semaines. L’un s’est marié ; l’autre n’a pas attendu pour sortir de tutelle que l’heure eût sonné. Son coup d’État a causé pendant quelques jours une assez vive émotion. On ne voit pas tous les jours un jeune prince tout occupé en apparence d’achever ses études, de passer avec succès les examens que lui font subir ses professeurs, et qui, pris subitement d’une fièvre de régner, impatient de rompre ses lisières et de se proclamer son propre maître, invite à dîner ses tuteurs devenus incommodes, les fait arrêter en sortant de table, puis se présente dans les casernes, où les soldats l’acclament. Il y avait dans cette entreprise hardie et si bien menée je ne sais quoi de romanesque qui a saisi les imaginations, et on a décidé que ce jeune homme aussi dissimulé que vif était quelqu’un, qu’il faudrait compter avec lui. Bientôt on s’est ravisé, et dans plus d’un endroit on a dit : « Cet adolescent n’est qu’une marionnette. Le coup a été monté par la Russie. »

Il paraît cependant que la mésaventure de M. Ristitch a causé autant d’étonnement à Saint-Pétersbourg que dans les autres capitales de l’Europe. Les journaux russes se sont tus quelque temps, et ils n’ont parlé que pour exprimer une satisfaction mêlée de réserve. On se souvient qu’il y a deux ans, le jeune roi fut accueilli à Péterhof de la façon la plus gracieuse. La Russie lui a toujours témoigné quelque intérêt, et elle n’était pas fâchée de voir les radicaux serbes revenir au pouvoir et remplacer les libéraux qui avaient une tendance marquée à se rapprocher de l’Autriche-Hongrie. Mais on craignait que le roi Alexandre n’eût fait son coup à la suggestion de son père, l’ex-roi Milan, dont on se défie. Jusqu’à plus ample informé, il est permis de croire qu’il s’est