Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instincts généreux de ses jeunes auditeurs, par l’attaque franche, directe, qui nomme l’adversaire et l’étreint corps à corps. L’équivoque naît aussi d’une confusion constante entre des écrivains très différens, fort étonnés de se rencontrer sous le même anathème. Je ne puis parler que pour l’un d’eux, le signataire de ces pages. M. Aulard le met en cause par de fréquentes citations ; mais, évidemment, il l’a fort peu lu, il le juge sur des légendes de journal. S’il se fût enquis, il n’assoirait pas arbitrairement, sur je ne sais quel canapé philosophique, en je ne sais quelle compagnie, un écrivain jaloux de son indépendance, volontairement retranché dans son isolement, étranger à toute ligue, à toute coterie, et toujours prêt à répondre pour lui-même, mais pour lui seul. Ces inadvertances s’expliquent. L’orateur confesse de bonne grâce que déjà, tout jeune professeur, la politique le tenait si fort qu’il faisait mal sa classe et laissait ses élèves. accentuer les thèmes grecs à leur fantaisie. Comme cette classe, nous avons été victimes de la politique ; l’honorable professeur a corrigé nos pauvres devoirs sans les lire. Ceci clôt des discussions personnelles qui auraient peu d’intérêt pour le lecteur.

Il est préférable de rétablir les positions respectives dans le débat des idées. Je ne prétends pas examiner le vaste programme que M. Aulard a développé sous ce titre : Science, patrie, religion. Détachons-en deux ou trois points, traités plus d’une fois à cette place ; au risque de me répéter, je rappellerai les conclusions où nous nous sommes arrêtés ; ce sera suffisant pour détruire les fausses interprétations que l’on en donne.

La Révolution tient une large place dans la harangue aux ligueurs. M. Aulard y ramène toutes les idées, comme un théologien les rapporte à la divinité. Et l’on peut croire qu’il n’est pas tendre pour ceux qui ont parlé d’elle avec irrévérence. Je lui soumettrai une observation préliminaire. J’admets sans peine la théorie du bloc ; non pas, bien entendu, si l’on me demande une approbation aveugle de tous les faits, de tous les hommes ; mais en ce sens que la Révolution est un organisme indivisible, où tout s’enchaîne logiquement. Cette théorie me parait cent fois plus rationnelle que l’exclamation enfantine des bons libéraux d’autrefois : Ah ! si l’on s’était arrêté en 1789 ! Seulement, je veux le bloc intégral : de 1789 à 1815. Qu’on y prenne garde : quand on le coupe en deux, pour tout admirer avant le 18 brumaire, pour tout maudire après cette date, on frise de bien près la puérilité des bonnes gens qui voulaient mettre un sinet après telle page de la constituante ou de la législative ; on fait de l’histoire à la façon de Bouvard et de Pécuchet. Pour tout historien qui regarde attentivement cette période de vingt-cinq ans, ce qu’elle a d’indissoluble dans son unité