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d’ammoniaque de la houille ou des matières excrémentielles, est bien loin de compenser celui qui est constamment perdu, et si on pouvait calculer d’une part l’azote combiné enfoui chaque année dans les profondeurs de l’Océan et celui que nous exhumons des gisemens exploités, on trouverait une terrible différence.

Malgré ces déperditions formidables, à chaque printemps, nos prairies donnent de l’herbe, nos forêts verdissent sans que nous ayons à intervenir, leur vie est alimentée par l’azote atmosphérique dont nous commençons à comprendre le mode d’action.

Quand, il y a trente ans, M. Pasteur nous a fait comprendre le rôle des micro-organismes, il nous les a présentés comme les agens nécessaires de la réduction de la matière organique aux formes simples sous lesquelles ses élémens rentrent dans la circulation générale : — « Si les êtres microscopiques, disait-il, disparaissaient de notre globe, la surface de la terre serait encombrée de matière organique morte et de cadavres de tout genre (animaux et végétaux). Ce sont eux principalement qui donnent à l’oxygène ses propriétés comburantes ; sans eux, la vie deviendrait impossible parce que l’œuvre de la mort serait incomplète. »

Depuis 1862, la justesse des idées de M. Pasteur a été démontrée par d’innombrables recherches, mais la science ne s’arrête pas, et aujourd’hui apparaît une fonction nouvelle de ces micro-organismes. Non-seulement ils travaillent à rendre assimilable par les végétaux supérieurs la matière organique en la réduisant aux formes simples : eau, acide carbonique, ammoniaque, acide azotique, sous lesquelles ils peuvent en utiliser les élémens, mais, en outre, associés à certaines espèces végétales privilégiées, ils leur préparent, ils leur façonnent l’aliment le plus précieux, la matière azotée, qu’ils élaborent à l’aide de l’azote de l’air, ou encore, isolés dans les profondeurs ou à la surface des sols vierges, ils élaborent la matière organique la plus complexe, la matière azotée, en faisant pénétrer dans le cycle de la vie l’élément le plus difficile à entraîner : l’azote. Les êtres élémentaires, suivant l’excellente expression de M. Berthelot, provoquent ainsi des synthèses véritables.

Sans doute, leur histoire est encore fort obscure. Comment l’azote est-il engagé en combinaison ? Quelles sont les réactions qui déterminent la fixation de ce gaz inerte ? Nous l’ignorons. Le point acquis est que la fixation de l’azote atmosphérique dans la terre végétale assure la perpétuité de la vie à la surface du globe, et encore que cette fixation a lieu sous l’influence des fermens de la terre.


P.-P. DEHERAIN.