Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’action des micro-organismes, il devient ammoniaque, puis acide azotique, il pénètre alors dans le végétal, et le voilà gluten du blé, prêt à reprendre ses éternelles migrations. S’il ne s’altère, ni se détruit dans ces longs voyages, il peut cependant disparaître pour de nombreuses années de la circulation. Les nitrates solubles dans l’eau sont entraînés à la mer, y deviennent ammoniaque, et si on se rappelle que chaque litre d’eau de mer renferme 0 gr. 0004 d’ammoniaque, on voit quelle est l’immense quantité d’azote combiné que renferme l’Océan ; or de faibles fractions de cet azote reviennent seules au sol qui les a fournies. L’Océan nous fournit un peu de poisson ; aux riverains, des fucus, des varechs qui servent à la fumure des terres du littoral et y déterminent une végétation luxuriante depuis longtemps célèbre : la ceinture dorée de la Bretagne n’a pas d’autre origine ; mais la disproportion entre l’azote combiné porté à l’Océan et la quantité rendue est excessive, et la terre serait dépourvue depuis longtemps d’azote combiné, si l’atmosphère ne compensait partiellement les pertes que supporte constamment le sol cultivé.

Ces pertes croissent à mesure que les exigences de l’hygiène sont plus étroites ; jamais l’ensemble de nos populations ne supportera les Gênes que s’imposent les habitans de nos départemens du Nord, de l’Alsace ou de la Provence, et n’emploieront sans transformation les résidus de la vie que rejettent les grandes villes, comme le font les Chinois. Grâce à cette habitude, singulièrement désagréable, il faut le reconnaître, ils ont pu continuer à croître, à prospérer depuis des milliers d’années, tandis que les grands empires asiatiques, peuplés de cultivateurs imprévoyans, se sont abîmés peu à peu par l’impossibilité de vivre dans des pays épuisés par une culture malhabile.

Notre habitude de ne pas utiliser les résidus de la vie, mais de les rejeter à la mer, comme on le fait à Londres, ou à la Seine, comme on le fait à Paris, nous force à vivre sur de maigres réserves qui auront disparu dans un nombre d’années restreint. Aujourd’hui, notre culture épuise le nitrate de soude que péniblement une flotte entière va chercher dans le désert d’Atacama, sur la côte américaine du Pacifique, dont les îlots, pendant une cinquantaine d’années, nous ont fourni du guano, aujourd’hui presque disparu. Nous employons encore le sulfate d’ammoniaque obtenu par la purification du gaz d’éclairage de la houille ; nous faisons rentrer ainsi dans la circulation active l’azote qui a été fixé aux époques reculées, où la végétation puissante et monotone de la terre accumulait ces réservoirs de chaleur et de force que nous utilisons aujourd’hui. Mais l’azote du nitrate de soude du Pérou, du sulfate