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après quelques années que la terre avait conservé à peu près sa richesse initiale ; l’azote introduit par les engrais étant, d’une part, consommé par les végétaux, de l’autre, entraîné par les eaux qui s’infiltrent dans le sous-sol. Il fut loin d’en être ainsi. À la fin de l’année 1888, 1 kilo de terre accusait 2 gr. 35 d’azote. Si on calcule les changemens survenus dans un hectare de 4,000 tonnes, on trouve que la terre, qui renfermait à l’origine 6,080 kilos, en accusait, en 1888, 9,400 kilos. Le gain de 0 gr. 83 par kilo devient 3,320 kilos pour un espace de trente-deux ans ou de 103 kilos par an.

Le phénomène est d’ailleurs progressif, et rien dans son allure ne peut faire supposer qu’il approche de sa limite.

J’ai moi-même, dans une expérience de moindre durée, observé des faits analogues au champ d’expériences de Grignon. En 1879, une terre appauvrie par la culture, ne dosant plus que 1 gr.50 d’azote par kilo, fut ensemencée en sainfoin, dont la culture persista jusqu’en 1883. À cette prairie artificielle de légumineuses succéda une prairie de graminées, qui resta toujours sans engrais ; on préleva des échantillons de terre en 1881, en 1885 et en 1888 ; les teneurs furent respectivement 1 gr. 65, 1 gr. 77, 1 gr. 98. À ce moment, le sol d’un hectare avait gagné 1,888 kilos d’azote, les plantes récoltées, enlevées chaque année, renfermaient 1,210 kilos d’azote ; par conséquent, cette terre avait gagné en dix ans 3,058 kilos d’azote dont la plus faible fraction avait servi à l’alimentation des récoltes, la plus forte avait persisté, constituant cet énorme stock de matières organiques azotées que tous les observateurs ont constaté dans le sol des prairies.

Il est donc incontestable que, si dans une terre calcinée, et pendant la courte durée d’une saison, les gains d’azote sont habituellement trop faibles pour être visibles et pour que les plantes puissent en profiter, ces gains sont considérables pour les terres couvertes de végétaux et soumises au régime de la prairie permanente. Quel est le mécanisme de cette fixation ? Sont-ce les plantes qui s’emparent de l’azote atmosphérique par leurs feuilles, puis, laissant dans la terre des débris de toutes sortes, finissent par l’enrichir ? Est-ce, au contraire, la terre elle-même qui fixe cet azote atmosphérique ? S’y forme-t-il des combinaisons servant ensuite à l’alimentation des plantes ? Telles sont les questions qui se dressent devant nous et auxquelles il faut répondre.


III

L’origine de l’azote des végétaux a été l’objet d’une discussion, restée justement célèbre, entre Boussingault et M. George Ville.