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se sont tous usés. Ils ont usé aussi tous les ressorts de l’État, en faussant dans son essence et dans son action le régime parlementaire. On en est venu à cette situation où tout s’est épuisé par l’abus, où il n’y a plus ni majorité réelle ni gouvernement possible. Le ministère nouveau qui vient de naître n’est lui-même que la dernière expression impuissante et peu sérieuse de la « concentration. »

Une autre conséquence de cette falsification des institutions, de ce système de pseudo-radicalisme, c’est le trouble qui se produit aujourd’hui dans les pouvoirs publics et qui reste certainement un des points les plus graves de la situation présente. Qu’est-ce à dire ? Depuis plus d’un an déjà, la chambre a reçu le budget de 1893. Elle a eu certes tout le temps de l’examiner, de l’étudier, de le remanier. Il lui a plu d’introduire dans ce budget toute sorte de nouveautés, une réforme du régime des boissons, un essai d’impôt progressif pour les patentes des grands magasins, une taxe nouvelle sur les valeurs de Bourse. Elle s’est de plus donné le plaisir démocratique de voter un certain nombre de petits impôts somptuaires aussi puérils que mal conçus, et avec tout cela elle a si utilement employé son temps qu’elle n’a pu achever son travail pour ouvrir régulièrement l’année financière : si bien qu’on en est aujourd’hui au quatrième douzième provisoire, — qui ne sera peut-être pas le dernier. Qu’est-il arrivé ? Le sénat, en recevant ce budget à la dernière extrémité, à la veille des vacances, s’est mis à son tour à l’étudier sans perdre un instant. Il n’a pas tardé à s’apercevoir que dans cette œuvre décousue, mal combinée, mal équilibrée, tout serait presque à refaire. Il s’est borné cependant à un certain nombre de modifications, il est vrai, assez sérieuses, à un ajournement provisoire de la réforme du régime des boissons. Et qu’on ne dise pas qu’il y a eu ici une intention agressive, une affaire de parti : c’est un des premiers financiers républicains du Luxembourg, M. Boulanger, qui a fait la plus vive, la plus sérieuse critique du budget de la chambre ; c’est M. Boulanger qui, avec son autorité reconnue, a proposé la disjonction du régime des boissons et préparé le budget rectifié que le sénat a sanctionné de son vote. — Aussitôt a éclaté au palais Bourbon une insurrection bruyante contre les « usurpations « sénatoriales. Sion eût écouté M. Lockroy, on eût rejeté en bloc, sans plus de façon, tout ce que le sénat a fait avec réflexion. On s’est contenté d’écarter dédaigneusement, article par article, l’œuvre préparée au Luxembourg, en rétablissant surtout plus que jamais la réforme du régime des boissons dans le budget. Et voilà la guerre allumée ! Voilà la question qui a déjà coûté la vie au dernier ministère, — qui pèse sur le ministère nouveau et sur le pays.

Est-ce qu’ici encore c’est la vraie « vie parlementaire ? » Est-ce que la constitution a créé une assemblée souveraine et prépondérante au détriment de l’autre ? Elle a tout uniment donné à la chambre le privilège d’examiner la première les lois d’impôts, les lois de finances, sans