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un langage plus pratique, les chambres à s’entendre pour voter le budget et même bien d’autres lois qu’elles ne voteront pas. Elle ne craint pas d’avouer enfin que le moyen le plus sûr de hâter l’union qui multipliera les forces de la patrie, « c’est d’administrer à tous les degrés de la hiérarchie avec exactitude, avec bienveillance, avec équité, pour le bien commun des citoyens. » Il y a de quoi satisfaire ou flatter tout le monde : si cela ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal ! Et sur la foi de cette déclaration rassurante, de ces belles promesses, députés et sénateurs se sont hâtés de laisser au gouvernement le répit qu’il demandait en prenant eux-mêmes leurs vacances pour trois semaines. Ils sont allés aux champs, à leurs conseils-généraux. Après le 25 avril arrivera ce qui pourra ! jusque-là tout est en suspens, et le sort du ministère et le conflit demeuré ouvert entre les deux chambres.

Quelle que soit du reste la durée de ce ministère, quels que soient les noms des ministres d’aujourd’hui ou d’hier, le mal est désormais bien autrement profond. Il est dans les choses, dans la situation tout entière, telle que l’esprit de parti l’a faite. M. le président du conseil, avec la naïveté d’un nouveau-venu au gouvernement, conviait récemment les chambres « à donner au pays l’impression d’une marche normale de la vie parlementaire. » M. le président du conseil parle d’or, quoique dans un langage un peu bizarre. S’il peut obtenir ce qu’il réclame, il aura certainement servi la république plus que tous ceux qui l’ont précédé. Le mal est justement qu’on en est venu à n’avoir plus même une idée des conditions de cette « marche normale, » qu’on s’est fait un jeu d’altérer et de fausser cette « vie parlementaire, » en tout, sous toutes les formes, — et dans la manière dont se font ou se défont les ministères, et dans les rapports des pouvoirs publics. Quand les ministères passent par toutes les métamorphoses, se succèdent et se modifient, se reconstituent le plus souvent avec les mêmes hommes, avec les mêmes programmes ou les mêmes procédés, est-ce que c’est la « vie parlementaire ? » Depuis près de quinze ans on n’a été occupé qu’à organiser une victoire de parti, à se partager le pouvoir « à tous les degrés de la hiérarchie, » comme dit M. le président du conseil, à tout asservir aux calculs d’une domination exclusive et jalouse. Toute la politique des gouvernemens qui se sont succédé s’est réduite à se faire, sous le nom de « concentration républicaine, » des majorités incohérentes, uniquement reliées par des intérêts ou des passions, à se mettre dans la dépendance d’une minorité radicale, dont on ne croyait plus pouvoir se séparer. Pour ne citer que les derniers, M. Loubet a voulu avoir les radicaux, et il leur a livré Carmaux ! M. Ribot a voulu ménager M. Floquet, M. Clemenceau, et par réticence, si ce n’est par un aveu explicite, il s’est fait le complice, presque le protecteur des plus crians abus. Et à ce jeu meurtrier ils se sont tous compromis, ils