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politique de parti, d’amalgames républicains qu’on s’obstine à suivre. On a craint sans doute que l’élévation de M. Lockroy à la présidence du conseil ne ressemblât à une gageure, — et après avoir consulté le président du sénat, le président de la chambre, M. le président de la république, dans l’honnêteté de ses intentions, s’est adressé à M. Méline, qui n’est pas moins honnête et moins bien intentionné. Malheureusement on ne voit pas bien comment M. Méline pouvait dénouer la crise, quelle idée précise il a eue dans les négociations qu’il a engagées sans plus de retard pour la formation d’un nouveau cabinet. Le digne M. Méline y a mis visiblement toute sa bonne volonté et le plus libéral esprit de conciliation. Il est allé frapper à toutes les portes, à commencer par la porte de quelques-uns des anciens ministres comme M. Develle, M. Ch. Dupuy, M. le général Loizillon, M. l’amiral Rieunier. Il a eu même, à ce qu’il semble, l’intention d’appeler dans le conseil un des principaux modérés du Luxembourg, M. le sénateur Trarieux, qui aurait pu certainement être la force d’un cabinet ; mais voici qui est plus curieux : M. Méline, chef du protectionnisme français, a voulu en même temps avoir le concours du président de la commission du budget, M. Peytral, qui est un Marseillais libre-échangiste, de plus un radical, et qui s’est d’abord dérobé. Il s’est adressé aussi à un jeune député de talent, M. Poincaré, qui a hésité à se charger de la direction des finances. La combinaison eût-elle réussi, qu’en serait-il résulté ? Rien de plus probablement que ce qui a existé jusqu’ici ; c’eût été le même système avec un peu plus de modération peut-être, mais avec les mêmes équivoques et la même impuissance.

Toujours est-il que l’expérience n’est pas allée jusqu’au bout, que l’honnête M. Méline, un peu perdu dans ses négociations, s’est promptement découragé. Il en a eu assez de son rôle de plénipotentiaire, chargé d’organiser un ministère, — et alors il a fallu reprendre la course aux portefeuilles, le jeu des candidatures, non plus avec M. Méline, mais avec un homme de bonne volonté, M. Charles Dupuy, qui était déjà dans la place et ne s’est pas trop fait prier. On s’est remis à l’œuvre, on a fait ce qu’on a pu, un peu au hasard par exemple, sans y regarder de trop près, — et la crise n’a pas tardé à avoir son dénoûment : c’est la combinaison qui a fini par prévaloir ; c’est le nouveau ministère qui s’est formé il y a quelques jours, qui a la chance d’exister encore à l’heure qu’il est. Il est d’ailleurs singulièrement composé.

D’un seul coup, le ministre de l’instruction publique de la veille, M. Ch. Dupuy, qui n’était, il y a peu de temps, qu’un simple député, est passé sans plus d’embarras à la présidence du conseil, au ministère de l’intérieur. Cette fois, M. Peytral, moins difficile avec M. Dupuy qu’avec M. Méline, n’a plus refusé la direction des finances. Le jeune M. Poincaré, par la même occasion, s’est laissé faire ministre de