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des éclats de mica. Parfois, la montagne s’échancre en forme d’une haute brèche, dont la muraille est un large jet de lave solidifiée. En montant toujours, on traverse de nouveaux plateaux blancs où des boursouflures se soulèvent, crevées par des filets d’eau qui suintent. Les traînées de dépôt prennent toutes les teintes, du rose au bleu, du vert à l’or. Ici, l’on dirait des ruisseaux de lait coulant sur un lit de neige ; on gravit des mamelons dont la pointe suppure comme un gros abcès. Sur le trajet des courans souterrains, des bubons humides semblent rejeter un pus clair ; toute la région présente les horreurs et les teintes riches d’une plaie putréfiée. On descend par une échelle, dans des crevasses profondes qui sont des étuves où perle du soufre ; dans la mare voisine, il suffit de laisser quelques minutes des dollars d’argent pour qu’ils se couvrent d’un enduit très fin et deviennent des pièces d’or. Plus loin, l’eau a coulé jadis : les énormes dépôts constatent son passage ; mais ils ont fini par boucher tous les trous dans leur propre épaisseur ; l’eau a cherché une autre issue, et toute la région est sèche, étalant au soleil ses glacis blancs et roses, qui lui donnent l’aspect d’une gigantesque pièce de confiserie.

On erre ainsi durant des heures au milieu de ces riches colorations, sur ce sol étrangement orné, que les trappeurs avaient à peine embelli dans leurs récits, quand ils disaient avec terreur qu’il leur était apparu, à travers les arbres, des temples de fées, des palais d’agate et d’albâtre. Devant ces phénomènes stupéfians qui sont l’œuvre patiente et délicate de la nature durant des milliers d’années, la peur a dû précéder l’admiration.

Nous voici redescendus à mi-côte jusqu’à la terrasse de Minerve. Il n’y a plus d’arbres : devant nous s’étale, dans son imposante étendue, la grande vallée de la Gardner, qui serpente jusqu’à l’horizon des montagnes violettes. Au pied de l’escalier, se dresse un cône de pierre, haut et étroit, comme un doigt qui trouerait le sol. C’est un geyser éteint ; au temps de son activité, il s’est peu à peu entouré de cette gaine solide et montante ; elle a fini, quand la pression de l’eau est devenue insuffisante, par le dominer et l’ensevelir sous le mausolée qu’il avait bâti. Ce tombeau naturel est fort vieux ; il s’effrite, et la geysérite s’en dissocie. Comme il est percé d’un tube dans toute sa hauteur, il est question de canaliser, sous le sol spongieux qui le supporte, un courant d’une source supérieure, qui jaillira de cette tombe, et en repolira, par ses dépôts rajeunis, les flancs ridés et ébréchés.

À droite, la vallée est fermée par une muraille abrupte ; au-dessus de la zone des sapins, le versant se dresse en crête droite, striée, inabordable. L’autre rive du fleuve s’élève et s’éloigne vers la