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animal fossile, comme leur nom porterait à le croire : il désigne seulement les dimensions peu communes de ce bassin thermal. Au sommet d’une montagne de deux mille mètres, qui domine la vallée de la rivière Gardner, s’échappent de nombreuses sources bouillantes, dont le débordement inonde depuis des siècles le versant. Ces eaux ont la propriété de déposer sur leur cours des matières diverses, carbonates et silicates, dont l’accumulation plusieurs fois séculaire a fait à la montagne une cuirasse de marbre et d’albâtre ; des terrasses et des vasques en étages se superposent ainsi de la base au sommet, continuellement lubrifiées par la mince couché d’eau, et offrent le plus imposant ensemble.

À première vue, on ne distingue qu’un immense revêtement blanc, qui semble collé au flanc de la montagne sur toute sa largeur et sur toute sa hauteur ; c’est comme un glacier qui aurait saisi tout un versant, et qui irait mourir jusqu’aux bords de la rivière, par une couche de plus en plus mince. L’effet est éblouissant quand le soleil luit, et ne saurait être supporté à l’œil nu. Il faut se pourvoir de lunettes bleues à l’hôtel avant le départ. Mais par les temps sombres ou pluvieux, le prestige disparaît ; l’éclatante blancheur fait place à une teinte sale de glace à demi fondue. Les couleurs ont besoin de soleil.

En approchant, on découvre que ce revêtement n’est pas uniforme ; c’est une immense rampe qui descend du sommet par des étages de vasques capricieusement creusées, sur une superficie de trois milles carrés.

L’esprit demeure déconcerté devant les multiples combinaisons de ces terrasses féeriques, de ces bassins peu profonds, en toutes dimensions, à toutes températures. On marche sur un sol artificiel. Cette splendide série de cuvettes superposées semble un gigantesque escalier de Versailles. Chaque humide palier a été baptisé d’un nom pittoresque ou poétique : Terrasse de Minerve, Terrasse de Jupiter, Terrasse Miniature, Source Orange, Cuisine du Diable, Source de Cléopâtre. Un sentier couvert de planches longe de côté ces gradins fumans. Chaque cuvette, pleine jusqu’au bord, est entourée d’une margelle en dépôts calcaires, dont les dentelures, les festons, les teintes défient l’imagination. Ici, une mince nappe d’eau bleue dort dans une coupelle blanche ; là, les rebords ont la fine transparence de l’albâtre, avec des veines roses. On a sous les yeux toutes les merveilles de la plus délicate orfèvrerie polychrome, des patènes ciselées, émaillées de tons crème et saumon, où repose une eau si pure, que les moindres détails du fond sont visibles ; ce sont de larges coupes autour desquelles les « formations » font des colliers de perles diaphanes ; ce sont des