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leur ont succédé, parce qu’ils duraient moins et rendaient proportionnellement moins de services. Au XIVe siècle (1319), un tombereau sans ferrures coûtait à Paris 20 francs, c’est-à-dire 70 francs de nos jours ; mais une charrette ferrée, en Franche-Comté s’élevait au triple. Un tombereau, avec essieu en bois, ne coûte au XVIIe siècle que 9 francs à Strasbourg, c’est-à-dire moitié plus qu’une brouette que l’on paie 6 francs en Saintonge (1630). Mais on imagine quel pauvre et piteux véhicule ce devait être, quand on sait que, jusqu’en 1700, le fer destiné aux roues et aux essieux se paie 0 fr. 65 le kilogramme, par conséquent quatre fois plus cher que de nos jours, en tenant compte du pouvoir de l’argent. Lorsque des roues de charrettes, sans ferrures, valaient 3 fr. 60, la ferrure de ces mêmes roues coûtait 36 francs.

Malgré la baisse du fer au XVIIIe siècle, le prix des voitures rurales ne diminua pas ; mais leur construction fut plus soignée. Un chariot à bœufs, une grande charrette valaient il y a cent ans de 100 à 150 francs. Je ne parle ici, bien entendu, que d’objets courans et ordinaires : s’il s’agit d’une entreprise de roulage qui transporte à Paris, sous Louis XVI, les huîtres de Marennes, on devra compter 900 francs pour chacun des camions affectés à ce service.

Les mêmes observations peuvent s’appliquer à tout le matériel de ferme, aux pics, bêches, pelles, etc. Presque toutes les pelles au XVIIe siècle étaient en bois ; quelques-unes seulement avaient une garniture de fer sur le bord. Comme ces pelles étaient très lourdes, on devait les faire plus étroites que celles d’aujourd’hui ; de là moins de besogne avec plus de peine. Un très petit nombre d’exploitations avaient, à la fin du siècle dernier, des ventilateurs à grains ; le plus souvent on vannait le blé en le jetant, à l’aide d’une pelle, à l’encontre du vent.

Un savant, aveuglé par sa tendresse pour le moyen âge, affirmait il y a quarante ans que « presque toutes les pratiques décrites par les cartulaires sont encore aujourd’hui suivies par nos laboureurs, tellement qu’un paysan du XIIIe siècle visiterait sans étonnement beaucoup de nos fermes. Ce qui peut-être le frapperait serait un certain accroissement de bien-être, la suppression des jachères, et surtout l’ouverture des voies de communication. Tels sont en effet, concluait-il, les seuls progrès réels dont nous devons nous enorgueillir. » L’assertion, si l’on tient compte surtout du chemin parcouru dans les quarante dernières années, est contraire à l’évidence. Cette France d’aujourd’hui, où pas un mètre presque n’est perdu, ne ressemble pas plus à la campagne de jadis, pleine de landes moroses, de vains espaces, de bois