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De cette chance, car c’en est une, on ne peut que féliciter les heureux possesseurs ; mais doit-on, comme ils le demandent, leur en garantir la continuité ? Jusqu’à ces dernières années, ils n’avaient eu à redouter que peu ou point de concurrence ; de concurrence extérieure du moins, puisqu’à l’intérieur, ils en avaient éprouvé, dans les temps modernes, par suite du dessin souvent modifié des lignes de douanes provinciales, à travers le royaume, par suite du creusement de divers canaux, de la confection de certaines routes. Ils en avaient subi encore par les défrichemens qui, de moment à autre, quand les prix des denrées s’enlevaient trop vite, venaient lester ces prix, les alourdir par la multiplication des offres.

Au milieu de notre siècle, une portion de la propriété foncière, celle qui formait la banlieue des villes, eut à soutenir un rude assaut par le fait de l’invention des chemins de fer. On lui arrachait un monopole ; les cliens qu’elle approvisionnait exclusivement allaient peut-être lui échapper. À cela encore il se trouva un remède : la population des villes doubla, et la production de certaines denrées qui ne supportent que peu de transport, telles que le lait, ou que le transport continue, malgré les chemins de fer, à faire grandement augmenter de prix, parce qu’elles ont peu de valeur par rapport à leur poids, la paille, par exemple, la production accrue de ces denrées remplaça celles qui furent abandonnées aux environs des centres populeux, où elles devenaient moins rémunératrices. Puis la hausse des objets de consommation et la découverte d’engrais nouveaux permirent la culture intensive de produits qui, avec l’ancien mode d’exploitation, eussent cessé d’être avantageux. Enfin le développement du bien-être, de l’aisance des classes moyennes, créa à l’agriculture de nouveaux débouchés, ou doubla, tripla des débouchés anciens. La banlieue des villes vit aussi sa population croître, presque autant que celle des villes elles-mêmes ; de là, transformation de beaucoup de fonds jadis ruraux, en fonds semi-urbains, et participation au bénéfice que les fonds urbains ont retiré de la civilisation.

Si bien que, dans la période comprise entre 1850 et 1880, les héritages fonciers profitèrent diversement des inventions nouvelles, gagnèrent plus ou moins, mais gagnèrent tous. Un mouvement contraire se manifeste depuis une douzaine d’années : la lutte s’est ouverte de continent à continent, et la terre française n’est plus seulement en concurrence avec la terre européenne, mais avec celle du monde entier. Le marché des produits agricoles, restreint au moyen âge à la seigneurie et aux seigneuries mitoyennes, étendu aux temps monarchiques à la province, et