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de retarder quelque peu l’essor de l’agriculture. Il est en Champagne, vers 1525, des monastères qui laissent leurs terres en friche, « parce que le produit n’est pas capable de compenser les frais. » En effet, la main-d’œuvre était alors relativement assez chère, et tout le monde ne pouvait se servir de la jument de Gargantua.

Quelques causes, d’une nature spéciale, contribuaient à maintenir les surfaces forestières : par exemple, le caractère seigneurial qui s’attachait à la possession de ces altières futaies, dont l’antiquité était une sorte de noblesse. On n’ignore pas que c’était alors une peine prononcée par les tribunaux, contre les gentilshommes, que le rasement, — on disait la « dégradation, » et ce mot rend bien l’idée, — de leurs bois.

Un peu plus tard, ce ne furent pas les bras qui manquèrent, et l’afflux de l’argent, dont le pouvoir baissait à vue d’œil de 1530 à 1600, était éminemment favorable à la propriété foncière ; mais ce furent les guerres de religion qui, à partir de 1560, vinrent de nouveau déranger cette ruche pacifique des travailleurs ruraux. Bien des métairies, sous Charles IX, « ne sont ni cultivées ni occupées par personne, de manière, dit un contemporain, qu’elles sont dégarnies de bétail et inutiles. » En Languedoc, à l’avènement d’Henri IV, un tiers du territoire agricole était « en patus et garrigues, » c’est-à-dire en landes servant au pacage ; pacage bien médiocre, landes bien maigres, empêchant seulement de mourir de faim les animaux étiques qui les arpentaient sans relâche, sous le fallacieux prétexte de les paître.

Dans ces conditions nulle indiscrétion à demander, nulle difficulté à obtenir d’un gros détenteur du sol, comme miettes sans valeur de ses domaines, d’amples morceaux qui fructifieront plus tard. C’est ce que fait un ministre protestant de Saintonge, priant le duc de La Trémoille « de l’accommoder de certains marais, vagues et inutiles, sur sa rivière de Boutonne, lesquels avec le temps il pourrait améliorer, pour aider à entretenir sa pauvre famille. » Bien des dessèchemens de marécages furent ainsi entrepris : les marais de Corbeilles et Bordeaux, qui occupaient 650 hectares dans le Loiret, près de Montargis, et infectaient de leurs miasmes huit ou dix paroisses des environs, furent par trois fois, sous Louis XIV, l’objet de tentatives de drainage à vingt ans d’intervalle les unes des autres ; la troisième seule réussit. Le succès ne couronnait pas toujours les entreprises de ce genre ; des marais que l’on avait mis en labour à grands frais demeuraient stériles ; ou bien l’opération ne donnait que des résultats pécuniaires insignifians : tel étang, loué en 1600 sur le pied de 8 francs l’arpent,