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pour lui comme pour bien d’autres une surprise, un amer désappointement, et il ne le cachait pas. Parmi les déçus du camp royaliste, il n’était pas le moins sévère pour le manifeste royal, et de nouveau il pouvait dire que décidément « le vent ne poussait pas vers la monarchie, qu’il soufflait en faveur de la république. » Il se sentait pour sa part d’autant plus blessé qu’il voyait s’évanouir, et cette fois d’une façon probablement irréparable, le dernier rêve de sa vie, d’une vie qui pouvait compter encore quelques années, mais qui commençait à s’épuiser.

Aussi bien, pour M. de Falloux, tout était fini ou à peu près. Il semblait quelquefois ressaisi d’une vieille ardeur mal apaisée, et un de ses derniers écrits avait pour objet de combattre ceux qui ne cessaient de confondre la monarchie et la « contre-révolution. » II défendait encore la monarchie pour l’honneur, dans ce qu’elle avait fait pour « l’unité nationale, » non plus, ce me semble, avec l’espérance de la voir renaître de sitôt, si jamais elle devait renaître. En réalité, les années qui lui restaient à vivre, il les passait le plus souvent dans son Anjou, suivant de loin le mouvement des choses, venant peu à Paris, toujours prompt à rentrer dans sa retraite du Bourg d’Iré où il se retrouvait avec ses souvenirs et ses regrets, se dédommageant de tout ce qu’il avait perdu par une active bienfaisance. Il gardait peut-être aussi le sentiment d’une destinée contrariée. Qu’est-ce que cette vie de M. de Falloux ? C’est la vie d’un homme né avec les dons les plus heureux, privilégié de la fortune et de l’esprit, libéral par sa nature, séduisant par ses manières, par son éloquence, fier et doux de caractère, qui était fait pour être un homme d’État dans des temps moins troublés, et qui a résumé dans sa carrière, sous la forme la plus brillante, les contradictions, les instabilités d’un temps de transition. Par son origine, par les souvenirs recueillis dans sa famille, par les liens de monde et de position, il se rattachait à l’ancienne société, aux traditions monarchiques rajeunies sous la Restauration. Par ses goûts, par son éducation libérale, par tous les mouvemens d’un esprit excité et éclairé, par un sentiment très vif de l’inévitable transformation des choses, il se rattachait à l’ordre nouveau, à la France de 1789 : il était de son temps ! Il a passé ses plus belles années à concilier tous ces instincts, à poursuivre dans les faits une conciliation déjà réalisée dans les idées, allant des illusions aux mécomptes, finissant, je pense, par croire peu au succès des combinaisons auxquelles il s’était dévoué, — mais croyant toujours à la France !


CHARLES DE MAZADE.