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de Paris avait tenu à éviter le bruit et les négociations qui avaient peut-être tout compromis en 1871 ; il était allé tout droit, sans préliminaires, sans conditions, à M. le comte de Chambord comme au représentant né de la monarchie, comme au chef reconnu de la maison de France, et il avait été accueilli avec la plus vive cordialité. Cette fois, on n’en pouvait plus douter : 1871 était effacé, la réconciliation dynastique était accomplie ! Rien ne pouvait plus s’opposer à une restauration vers laquelle une partie de l’opinion semblait aussitôt se précipiter, que le nouveau gouvernement favorisait de ses vœux, d’une complicité presque avouée. M. de Falloux lui-même, tout découragé qu’il fût dans sa retraite de l’Anjou, avait retrouvé l’espérance et se hâtait de se rendre à l’appel de M. le duc de Broglie, impatient de s’entretenir avec lui.

On n’était pourtant pas aussi avancé que le croyaient ceux qui avaient déjà commandé les carrosses de gala pour l’entrée du « roi » à Paris, et M. le duc de Broglie, entre tous, gardait plus d’un doute. M. le comte de Chambord avait en effet accueilli M. le comte de Paris avec une bonne grâce affectueuse et s’était montré heureux de la réconciliation de famille ; il n’avait rien dit qui ressemblât à un engagement politique. Il s’était réservé de dire le dernier mot, de manifester sa pensée, sa volonté, le jour où il serait rappelé par la France. Que signifiait cette réserve du prince ? On lui envoyait plénipotentiaires sur plénipotentiaires, d’assez médiocres négociateurs à dire vrai : on restait dans l’incertitude ! Une commission exécutive de neuf royalistes de l’assemblée s’était formée sous la présidence du général Changarnier, avec l’intention visible de préparer cette restauration insaisissable ; elle envoyait en désespoir de cause le digne M. Chesnelong à Salzbourg auprès du « roi » pour vaincre ses derniers scrupules, pour obtenir au moins de lui quelques explications. Le point délicat, décisif, restait toujours cette terrible question du drapeau ! M. le comte de Chambord était-il dans le fond moins indécis qu’on ne se plaisait à le supposer ? Avait-il cru démêler l’arrière-pensée de lui imposer des conditions qu’il ne voulait pas subir, de l’enlacer d’engagemens qui coûtaient à son honneur ? Toujours est-il qu’au dernier moment, comme un homme impatient d’en finir, il écrivait cette lettre devenue historique du 27 octobre 1873, où il se dévoilait tout entier : maintenant la réconciliation de famille, dégageant de toute responsabilité M. le comte de Paris, mais confirmant plus que jamais son manifeste de 1871, sa fidélité au drapeau blanc. Il laissait surtout percer la crainte qu’on eût voulu faire de lui « le roi légitime de la révolution ! »

À peine cette lettre était-elle tombée à Versailles et à Paris, elle