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après bien des essais inutiles, pour obtenir une atténuation des ordres d’abstention maintenus par le prince, M. de Falloux renouvelait sa tentative par un exposé hardi, même un peu sévère, où il allait jusqu’à rappeler les dangers d’une politique à la Polignac. C’était à l’époque où les décrets de 1860 venaient de rendre la parole au corps législatif, et où la rentrée de Berryer à côté de M. Thiers dans une assemblée pouvait servir la cause de la paix religieuse compromise dans les affaires d’Italie. Cette fois, on ne lui répondait plus. Berryer était élu tout de même et allait jeter dans une assemblée impériale les derniers feux d’une éloquence près de s’éteindre ; mais c’était contre l’ordre du « roi ! »

Ce n’est pas tout. Un point plus délicat peut-être que tous les autres restait encore. Lorsque la révolution de 1848, à peu près perdue par ses propres excès, avait paru sombrer dans la réaction napoléonienne du 10 décembre, M. de Falloux avait senti aussitôt que tout avait changé, que l’expérience républicaine courait vers la dictature. Il avait été des premiers à comprendre que, pour détourner ou contenir le mouvement césarien, si c’était encore possible, il n’y avait que la monarchie, mais que la monarchie elle-même n’avait des chances de retour que par une grande réconciliation dynastique, par un traité de paix entre les vaincus du 28 juillet 1830 et les vaincus du 24 février 1848. D’une double défaite naissait ce qui s’est appelé dans l’histoire la « fusion[1] ! » C’est le dramatique débat dès ce moment et si longtemps poursuivi, tantôt avec éclat, tantôt dans l’ombre, sous la république comme sous l’empire, entre des hommes qui ont pris quelquefois leurs illusions ou leurs rêves pour des réalités. À peine libéré de ses engagemens provisoires avec la république et des obligations du ministère, M. de Falloux, entre tous, s’était ardemment attaché à cette idée qu’il

  1. Un des premiers, si ce n’est le premier, qui eut l’idée de la « fusion, » est un des plus purs légitimistes du temps, M. Hyde de Neuville en personne. Dès le 24 février 1848, M. Hyde de Neuville, informé que la duchesse d’Orléans avait couru des dangers, qu’elle était réfugiée aux Invalides et était peut-être embarrassée pour se sauver, avait immédiatement décidé de se mettre à la disposition de la princesse et s’offrait à la sauver. Il ne voyait en elle que la mère du « premier prince du sang. Il avait tout préparé, voiture, argent, et il comptait précisément sur sa notoriété de légitimiste pur pour échapper à tout soupçon. Il se rendit aux Invalides : la princesse était partie ! il comptait dire à la duchesse d’Orléans, — c’est lui qui le disait à Mlle de Fougères, la seule personne qu’il eût mise dans son secret : — « Madame, je vous conduirai là où vous voudrez aller, en Allemagne, en Angleterre. Si j’osais me permettre un conseil, je dirais : Allons à Frohsdorf. Par-là vous rendrez un grand service à vos enfans et à la France. » — C’était le 24 février 1848. Deux ans après, il tenait le même langage dans une lettre adressée à la princesse, et ce qu’il disait à la duchesse d’Orléans, il le disait d’un autre côté à M. le comte de Chambord, — sans aller pourtant aussi loin peut-être que M. de Falloux. (Voir les Mémoires et souvenirs du baron Hyde de Neuville, IIIe volume.)