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La vérité est que, si M. de Falloux restait un royaliste fidèle par honneur, par tradition, il ne s’entendait presque sur rien avec M. le comte de Chambord, surtout avec ses conseillers secrets. C’est qu’en effet M. de Falloux était de son temps plus qu’il ne le croyait lui-même et n’en répudiait ni les idées généreuses, ni les bienfaits. Il n’était pas de ceux qui rêvaient, qui rêvent peut-être encore de refaire l’histoire, de la reprendre à l’année 1788. Il ne séparait pas la monarchie, si la monarchie devait revenir, des conditions essentielles de la société moderne, et, pour dire le grand mot, des principes de 1789. Il tenait à la mémorable date de la France nouvelle. Il l’a écrit dans plus d’une page : « Depuis soixante ans, notre pays a hésité sur toutes choses, sur toutes, excepté sur les quatre ou cinq notions générales qu’à tort ou à raison, il a rangées sous l’étiquette de 1781). Maintes fois, il a douté du meilleur moyen de les faire prévaloir dans la constitution, de les implanter dans les mœurs, jamais il n’a consenti à les abjurer. Maintes fois depuis soixante ans, sa destinée a paru jetée en l’air, à pile ou à face ; autant de fois elle est retombée sur le même côté, toujours et précisément sur le côté de 1789… » Il l’a dit sous une autre forme dans ses Mémoires : « La France n’est plus révolutionnaire, elle est en grande majorité conservatrice, — mais conservatrice de la révolution de 1789 inclusivement. La France, satisfaite de ses conditions civiles, de ses garanties politiques, demande un gouvernement qui consolide avec une intelligente fermeté des institutions conformes à son génie moderne et à ses mœurs… » Tout ce qui est « contre-révolution » systématique, il l’a désavoué. C’était la grande querelle de M. de Falloux avec les catholiques absolutistes et les légitimistes d’ancien régime qui n’ont cessé de le poursuivre de leurs défiances et de leurs polémiques. Par une combinaison qui n’a rien de nouveau, le même homme, qui passait au camp libéral pour un chef de réaction raffiné et redoutable, a pu passer dans son propre camp pour un révolutionnaire déguisé !

Il y a un autre point délicat, un point de conduite sur lequel M. de Falloux n’était pas moins décidé dans ses idées. Du moment où l’empire né du 2 décembre s’était dévoilé, M. le comte de Chambord avait cru devoir envoyer à son parti, à tous ses amis de France, l’ordre de cesser toute participation aux Jonctions publiques aussi bien qu’aux assemblées électives, depuis le corps législatif jusqu’au plus simple conseil municipal, de refuser tout serment à la constitution nouvelle, à l’ordre nouveau. Il semblait se retirer du monde en attendant des jours meilleurs et en couvrant tout au plus sa retraite d’une protestation platonique adressée « aux Français. » M. de Falloux n’avait pas attendu cet