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ce qu’il appelait spirituellement son « cardinalat, » et où il avait la « jouissance » de rencontrer quelques-uns des plus grands naufragés des révolutions, les plus incomparables causeurs du temps : M. Thiers, « toujours fin, ingénieux et naturel ; » M. Cousin, « plus pompeusement éloquent ; » M. Villemain et « son grand goût littéraire ; » M. Guizot et « les derniers éclats de son éloquence. » Par tous ses instincts, par sa nature même, par les crises intimes de son propre parti, il se sentait toujours ramené à la politique. Il s’y intéressait en homme qui, dans sa retraite, s’inquiétait du rôle que pouvaient jouer encore les royalistes, qui ne cessait de voir dans les forces monarchiques, selon la direction qu’on leur donnerait, la suprême ressource de la France. Et ici je voudrais ressaisir quelques traits de ce monde du légitimisme qui depuis 1830, à travers tous les régimes, a passé sa vie à s’agiter et à espérer sans retrouver l’heure du succès, ou qui ne l’a entrevue que pour la laisser échapper. Je voudrais montrer quel royaliste a été M. de Falloux, pendant l’empire comme avant l’empire et même après, — fidèle jusqu’au bout à sa cause, mais indépendant et libre dans sa fidélité souvent frondeuse.

«… Je commençai dès lors, — vers 1852, — a écrit depuis M. de Falloux, je commençai à connaître une jouissance qui n’est pas sans saveur : celle de demeurer fermement royaliste en pleine disgrâce du roi ! J’y ajoutai bientôt une seconde jouissance de même nature : celle de rester fidèlement catholique en pleine disgrâce du pape… » Le mot est leste et piquant. C’est la clé de la vie et du caractère de l’homme, du « royaliste parlementaire » et du « catholique libéral » qu’il a été. C’est aussi la clé de ses rapports avec le prince au cœur loyal qu’il retrouvait après des révolutions nouvelles, tel qu’il l’avait vu avant ces révolutions, vers 1840 : peu éclairé par les événemens, affermi et fixé dans une politique de foi traditionnelle, de plus en plus enveloppé des influences de cour ou d’intimité qui avaient pesé sur sa jeunesse. Avec tous les dons heureux d’un naturel cordial et séduisant, d’un esprit bien intentionné, M. le comte de Chambord était l’homme le moins préparé à entrer dans les idées de son temps. Il aimait passionnément la France, il la connaissait peu ou il ne la connaissait que de loin, et il n’en était pas connu ; il pouvait lui inspirer le respect, il n’était pas fait pour la conquérir à la Henri IV ou pour la gagner par la sagesse éclairée et habile d’un Louis XVIII. Les révolutions de 1848, qui auraient pu rouvrir à sa fortune de nouveaux horizons, l’avaient ému, sans provoquer de sa part une initiative, des actes ou des déclarations propres à parler au pays. Le 2 décembre, avec son « facile succès, » laissait dans son esprit cette impression, — c’est le mot de M. de Falloux, — « qu’il y avait