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croyez-le bien, ce n’est pas un engagement qui me coûte. Comptez sur moi… nous avons fait fausse route sur le terrain religieux. Mes amis les libéraux et moi, nous devons le reconnaître franchement. » La révolution de février avait étrangement changé les idées et les esprits !

Au fond, quoiqu’il affectât de se dire « envoyé par les prêtres, » quoiqu’il fût bon catholique, M. de Falloux gardait en tout l’instinct et la mesure d’un politique. C’est eu politique qu’il avait considéré l’expédition de Rome, c’est à-dire en homme qui ne séparait pas, dans sa prévoyance, la restauration du pape, des réformes civiles qui devaient en être le complément et la garantie. C’est aussi en politique qu’il abordait cette délicate question de la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire en homme qui se dégageait de tout esprit exclusif d’église, qui se proposait une grande conciliation entre les droits de l’État et la liberté d’enseigner. Il rêvait une sorte de concordat, une pacification religieuse dont la loi nouvelle serait le gage, — et un de ses premiers actes à son entrée au ministère était de réunir une haute commission, où il appelait les représentais de toutes les opinions, de tous les intérêts : M. Cousin, M. Saint-Marc Girardin, M. Dubois pour l’Université, — Montalembert, l’abbé Dupanloup, M. Cochin, quelques autres encore pour les catholiques, — des chefs d’institution, des députés et entre tous M. Thiers comme médiateur ou arbitre. Les délibérations de cette commission sont restées un des documens les plus sérieux et les plus instructifs du temps. M. de Falloux, quoique ministre, s’étudiait à s’effacer ; il écoutait, et s’instruisait, a-t-il dit, il suivait avec une attention passionnée ces débats tour à tour familiers ou éloquens, substantiels, animés, où M. Thiers mettait sa vivacité entraînante, Montalembert, sa généreuse hardiesse, Cousin, sa vieille ardeur pour les traditions universitaires et sa verve un peu tempérée par l’expérience, l’abbé Dupanloup, un art supérieur de démonstration et de persuasion. C’est de ces délibérations que sortait toute préparée une loi qui a duré trente ans, qui a eu la fortune, selon le mot spirituel de M. de Falloux lui-même, d’être appelée la loi sur la liberté de l’enseignement quand on voulait en dire du bien, ou la « loi Falloux » quand on a voulu en dire du mal. Son malheur était surtout d’être une loi politique. C’était une transaction négociée entre des chefs politiques ; la transaction a toujours été subie plutôt qu’acceptée par les partisans de l’enseignement de l’État, et elle était désavouée plus vivement encore dès la première heure par les ultra-catholiques qui y voyaient un « manque de foi, » une trahison du catholicisme libéral. « Je n’ai jamais compté sur M. de Falloux, écrivait Louis Veuillot déçu ; il n’était pas des nôtres… C’est essentiellement un homme