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sans avenir n’était que le dernier refuge du cosmopolitisme révolutionnaire, que la démagogie à Rome, ce serait la démagogie à Paris, — et M. Odilon Barrot le sentait comme lui. À ceux qui parlaient de se servir du Piémont, il demandait vivement comment un pays vaincu lui-même, obligé de se mettre à l’abri de la protection de la France, pourrait protéger les autres, et il ajoutait : « Vouloir cacher la France derrière le Piémont, c’est cacher un géant derrière un roseau. » Au président de la république enfin, au prince jadis insurgé des Romagnes, maintenant chef de la France, il s’efforçait de faire sentir qu’il ne pouvait mieux servir sa cause qu’en se popularisant par une action militaire, en se rattachant par un grand service rendu à la papauté tous les catholiques français. De sorte que l’intérêt national, l’intérêt de défense intérieure, l’intérêt religieux, l’intérêt présidentiel lui-même, tout conspirait pour l’intervention de la France. Et c’est ainsi que s’engageait, que s’exécutait cette expédition romaine, d’abord contestée, contrariée, entreprise un pou malgré la première assemblée constituante, reprise et poursuivie sous la seconde assemblée, jusqu’au siège victorieux de Rome. Comme politique, M. de Falloux avait contribué à décider l’intervention dans les conseils du gouvernement ; il l’avait servie à un moment critique (juin 1849) où un semblant d’échec éprouvé par le corps expéditionnaire français aux portes de Rome devenait un prétexte d’insurrection à Paris. Comme orateur, il illustrait l’entreprise de sa vive et persuasive éloquence, dans un discours où il montrait avec grandeur la France rendant le pontificat à son indépendance, Rome à son rôle de ville universelle. Il ne prévoyait pas alors que, vingt ans après, nos soldats monteraient encore la garde autour du Vatican et qu’ils ne quitteraient Rome que le jour où la France aurait assez de se détendre elle-même.

La restauration du souverain pontife était une des affaires de M. de Falloux au ministère ; il avait porté au gouvernement une autre préoccupation au moins aussi vive, la généreuse ambition de faire entrer dans le droit public de la France la liberté de l’enseignement déjà inscrite, d’ailleurs, dans la constitution nouvelle. Il se considérait au pouvoir comme le mandataire ou le plénipotentiaire des catholiques qui depuis dix ans combattaient pour cette liberté. Il ne l’avait pas caché. Le soir où, pressé par ses amis, Montalembert, l’abbé Dupanloup, il s’était rendu chez M. Thiers, qui le recevait en lui tendant les deux mains, son premier mot avait été : « Ne me remerciez pas encore, je viens à vous parce que les prêtres m’envoient… J’accepte le ministère, si vous me promettez de préparer, de soutenir et de voter avec moi une loi de liberté de l’enseignement ; sinon, non ! » — Et M. Thiers lui avait répondu vivement : « Je vous le promets. Je vous le promets, et