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qu’on ne voyait pas, qu’on ne pouvait guère prévoir encore : c’est que le 24 février allait conduire, par le 15 mai et le 24 juin, à l’élection napoléonienne du 10 décembre 1848, — par les divisions des partis au 2 décembre 1851, à la résurrection de l’empire, puis, dans un avenir encore voilé, à d’effroyables désastres, — et que rien de tout cela ne ramenait à la monarchie !


I

Le drame s’ouvrait à peine et, il faut le dire, cette révolution de 1848, qui allait retentir en Europe, avait la fortune singulière de ne rencontrer en France ni hostilité ni résistance. Elle semblait acceptée par le pays, par le clergé, par la magistrature, sinon sans crainte, du moins sans malveillance. Un des premiers, par la liberté de l’esprit et des opinions dans cette carrière nouvelle, était M. de Falloux. La veille encore, il aurait reculé devant cet inconnu d’une révolution, s’il eût été le maître d’en décider, et il avait refusé son nom au banquet du Château-Rouge, à la proposition d’accusation contre le dernier ministère du roi Louis-Philippe, à toutes les manifestations, préludes de la débâcle du 21 février. Le lendemain, devant le fait accompli, il avait promptement pris son parti ; il suivait le mouvement, il devançait même ses amis. Berryer, lui, ne laissait pas de garder une certaine réserve et, en se présentant peu après à ses électeurs marseillais, il restait le vieil homme invoquant son passé, avouant ses convictions, promettant sa bonne volonté sous la république comme sous la monarchie. Montalembert, quoiqu’il n’eût aucun lien avec le dernier règne, ne se séparait pas sans regret, sans un émouvant adieu public, « de la royauté constitutionnelle » qui avait donné à la France « trente-quatre années de paix, de prospérité et de liberté. » M. de Falloux, plus libre que ses amis, allait plus loin et cédait peut-être un peu aux excitations du montent.

Dès les premiers jours, avant de regagner l’Anjou, pour l’élection d’une assemblée constituante, il avait écrit à un de ses amis une lettre où il dépeignait avec feu la situation nouvelle créée à la France et à l’Europe. Il traitait cavalièrement les « puissances » européennes qu’il appelait les « impuissances étrangères. » Il parlait avec admiration, — il soulignait le mot, — de « l’héroïsme du peuple de Paris, » de sa « générosité » et de sa « délicatesse, » « surpassant, disait-il, celles de beaucoup des corps politiques qui ont dominé la France depuis soixante ans. » Il rappelait pour les gens de l’ouest une parole de Chateaubriand : « Je suis monarchique par principe, je suis républicain par nature. » Il disait enfin : « Tout est nouveau, tout est inouï dans les événemens