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artistes célèbres pour la broder à leur façon. Celle de Rembrandt a fourni matière à plus d’une légende, dont la critique n’a fait justice que tout récemment. Ce que nous savons de sa vie peut se résumer en quelques mots. Il était le cinquième des six enfans d’un meunier de Leyde, nommé Harmen Gerritsz, et on est fondé à croire qu’il naquit le 15 juillet 1606. Après avoir fait son apprentissage dans sa ville natale, il se rendit à Amsterdam pour continuer ses études chez Pieter Lastman, peintre de quelque renom. Il le quitta au bout de six mois et revint à Leyde, où il n’eut plus d’autre maître que lui-même. En 1631, à l’âge de vingt-cinq ans, il retourna se fixer à Amsterdam et y passa le reste de ses jours.

Il fut bientôt en vue. Dès la Leçon d’anatomie, dont le succès fut éclatant, son nom est devenu célèbre, il a conquis sa place au premier rang, et les commandes affluent. Il n’en sera pas réduit, comme beaucoup de peintres de son pays, à exercer à côté de son art une profession plus rémunératrice. Il ne sera pas obligé, comme Van Goyen, de spéculer sur les tulipes et les maisons, comme Jan Van der Cappelle de diriger une teinturerie, comme Steen d’exploiter deux brasseries, comme Hobbema de solliciter un emploi de jaugeur-juré pour les liquides débarqués à Amsterdam, comme Pieter de Hooch d’accepter une place d’intendant. Il est le portraitiste à la mode ; en 1632, il a dix portraits à faire, il en fera quarante de 1632 à 1634. Le stathouder Frédéric-Henri, fils du Taciturne, quelles que fussent ses préférences pour les Flamands et les italianisans, le fera travailler pour lui. Ses tableaux lui sont bien payés ; il tire bon parti de ses eaux-fortes, qui sont très recherchées ; il a de nombreux élèves, dont il touche une redevance. Au surplus, il a recueilli de petits héritages, et sa femme lui apporte une dot. Tout semble lui promettre une vie heureuse, tranquille et grasse.

Mais tout à coup la faveur publique se détourne de lui, on le sacrifie à des rivaux, dont quelques-uns ne sont plus connus aujourd’hui que des historiens de l’art. Il perd en même temps les commandes des bourgeois, des corporations, des Gildes, et le patronage de la haute société. Bientôt il sera traqué par ses créanciers, persécuté par les gens de justice. Plus il fait de chefs-d’œuvre, plus il est méconnu, dédaigné, ignoré, et son nom tombera dans un oubli si profond que les fables les plus grossières répandues sur son compte s’accréditeront partout. Hors quelques amis qui lui sont restés fidèles, on ne sait plus où il est, ce qu’il fait ; à peine sait-on s’il vit encore. Il avait soixante-trois ans quand il mourut à Amsterdam, d’où il n’était jamais sorti, et les uns disaient qu’il avait quitté la Hollande pour se fixer à Stockholm, d’autres affirmaient qu’il avait terminé ses jours en Angleterre, à Hull ou à Yarmouth.

Son caractère a été travesti comme son histoire, et sans les