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la soie et le velours. Or, pendant qu’à la messe de minuit un bambino de cire resplendit au milieu des cierges, des fleurs, des mages, des bergers, de tous les animaux de l’étable, il arrive, en vertu d’un miracle facilement explicable, qu’un enfant Jésus en chair et en os vient dormir sur les fonts baptismaux de la petite église, où un jeune curé, aussi chétif que peu considéré, veille avec des sentimens tout autres que ceux de la foule. Il pense aux besoins spirituels et autres que Santa Claus est impuissant à satisfaire, il pense à tous les cœurs vides suspendus en ce moment comme les milliers de petits bas qui s’accrochent aux branches des innombrables arbres de Noël et qu’aucun bon génie, hélas ! ne viendra remplir. Il prie tout seul devant l’étoile de clinquant qui est l’ornement unique de cette église mesquine, si peu semblable à une église, sauf que le Dieu de charité l’habite, puisque ses portes sont restées ouvertes et que des malheureux, des timides, des désespérés auxquels les pompes joyeuses du culte ne disent rien, y cherchent refuge. Durant cette nuit de Noël, le petit pasteur, qui se sentait la veille presque inutile au monde, accomplit avec de faibles moyens des choses merveilleuses : il arrache au diable une âme masculine, décide un mariage, fait un baptême et rend sa mère à un enfant abandonné. En outre, il enrôle pour le catéchisme une escouade de polissons des deux sexes, représentant à eux tous une seule famille, il est vrai, la tribu des Wiggens que ne désavouerait pas Dickens, le grand conteur des contes de Noël.

De Bayou l’Ombre, le plus renommé peut-être des récits de miss King, bien qu’il ne soit pas celui que nous préférons, il serait facile de tirer un joli opéra-comique : ces trois petites sœurs, reléguées, tandis que se bat leur père, dans une plantation lointaine, environnée de marécages qui exhalent la fièvre, et passant les longues journées à rêver d’imiter Jeanne d’Arc ou Charlotte Corday ; — l’arrivée soudaine de guérillas qui se donnent pour des fédéraux vainqueurs, bien qu’ils soient des confédérés battus une bonne fois, puisque le général Lee vient de se rendre ; — l’imbroglio des prisonniers yankees délivrés par les jeunes filles qui les croient des sudistes, tandis qu’ils sont en réalité du Nord ; — le baiser de Roméo et de Juliette échangé entre ennemis en face du péril, — le personnage à demi comique, héroïque à demi, de Beau, le capitaine de guérillas, un pillard presque aussi redouté du parti qu’il sert, que de celui qu’il combat ; — le chœur délirant, la bacchanale sauvage des négresses esclaves, ivres de liberté, un morceau presque épique ; nous voyons tout cela transporté au théâtre. Ce qu’on ne pourrait y mettre, c’est l’atmosphère même du pays qui donne comme une langueur toute particulière aux tableaux qu’elle