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Nelson, — avec les restes de plantations somptueuses, célèbres dans les chroniques coloniales, — comme Rosewell, propriété des Page : c’est le pays de Marse Chan. La Louisiane, découverte par les Espagnols, colonisée par les Français, baptisée du nom de Louis XIV et livrée par Napoléon aux États-Unis, toute française qu’elle fût de cœur, malgré la diversité de sa population mixte, anglo-américaine, espagnole, irlandaise, allemande, etc., d’ailleurs en grande partie catholique. C’est le domaine de miss King.

Qu’on se figure, dans ce milieu, une jeune fille d’une ardente imagination, nourrie des chroniques familières de sa ville natale qu’elle avait fort peu quittée, jusqu’au moment où elle put aller reconnaître en Europe l’origine de ses instincts, de ses aspirations, de ses goûts. Tout en remplissant les devoirs modestes qui incombent à la sœur aînée de plusieurs frères et sœurs, elle découvrait à chaque pas la poésie des petites choses, recevait les impressions du dehors avec une acuité singulière et trouvait, sans le chercher, le secret si rare de les traduire par de vives images où se reflètent fidèlement les mœurs, les caractères, la nature, tout cela non pas observé, mais senti. Ce jeune et frais génie appartient au sol de la Louisiane aussi naturellement que les plantes capricieuses qui jaillissent avec exubérance de son sol trop riche ; il ne se propose rien que la joie de s’épanouir au soleil et de provoquer la sympathie dont il a le besoin timide et passionné. Pour juger s’il y réussit, nous feuilleterons ces récits caractéristiques d’une même époque et d’un même endroit, Tales of time and place.

Voici Bonne-Maman, l’un des meilleurs :

La scène se passe dans cette partie de la Nouvelle-Orléans appelée autrefois avec vérité, à présent par convention, le derrière de la ville. L’huile y tient la place du gaz et la police, protectrice partout ailleurs, s’y montre fort négligente. Les longues rangées d’arbres à suif ombragent des banquettes qui aboutissent au bayou et que borde une suite de maisonnettes basses à volets verts, précédées de petites marches rouges ou jaunes, selon qu’elles ont été frottées de brique ou de camomille. La régularité de ces espèces de trottoirs est brusquement interrompue par une clôture triangulaire d’aspect sordide qui pousse jusqu’au milieu de la rue ses planches disjointes, derrière lesquelles une haie d’orangers se dresse, chargée de fruits d’or ou de fleurs embaumées. Les négrillons, chassés du seuil des autres demeures, à grands cris de tits démons, pestes de la terre, enfans du diable, etc., trouvent sous cette ombre indulgente un refuge pour leurs jeux ; ils sont seuls à apercevoir quelquefois le visage de la blanche mamzelle penchée sur son ouvrage. Elles