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Sam, avec Tom au colonel Chamb’lin (lisez Chamberlayne), c’est-à-dire qu’il y avait entre eux huit ans de différence ; n’en demandez point davantage, car jamais nègre ne saura son âge, ni ne précisera une date. Quand Marse Chan est venu, toute la maison était en l’air ; es gens avaient congé comme à Noël. Le vieux maître (on l’appela ainsi aussitôt après la naissance du jeune ; auparavant il était le maître tout court), le vieux maître donc apparut sous le porche pour annoncer aux esclaves réunis dans l’attente du grand événement que la mère et le garçon se portaient bien. Après quoi, il rentra, en se riant à lui-même, et revint au bout d’une minute, avec le poupon entre ses bras. Aussitôt hommes et femmes de se précipiter. Mais voilà que le maître, regardant les enfans serrés, au bas des marches, les uns contre les autres, comme un troupeau de moutons, dit à Sam : — Monte un peu ici.

Et Sain, de grimper tout tremblant, sur la pointe des pieds.

— N’es-tu pas le fils de Mymie ? .. Eh bien, je vais te donner ton jeune maître, t’attacher à sa personne.

Là-dessus il met le baby dans les bras du gamin, au milieu des cris de toutes les négresses : — Seigneur ! Seigneur ! ce petit-là va laisser tomber l’autre petit !

Mais le maître s’en rapporte au fils de Mymie, de laquelle d’ailleurs rien de plus ne nous est dit. Peut-être est-elle du sang de ce personnage considérable de toute maison virginienne, la Mammy, auxiliaire dévouée de la mère qui, dans les quartiers, a une case plus commode que les autres et qui, traitée avec une tendresse, des égards particuliers, est esclave sans doute, esclave des enfans, mais membre de la famille surtout.

— Écoute, Sam, reprend le père de Marse Chan, tu appartiens à ton jeune maître. Je te recommande d’avoir soin de lui tant qu’il vivra.

Et à dater de ce moment, Sam fut le body servant, le serviteur particulier, le garde du corps de Marse Chan ; il ne sera pas, dans sa vieillesse, éloigné de croire que, si jamais on ne vit un enfant profiter comme celui-là, c’est beaucoup grâce à ses bons soins.

Le temps est venu pour Marse Chan d’apprendre à lire ; Sam chargé de tous ses engins de travail le suit jusqu’à l’école, de l’autre côté de la rivière ; on y va tous les jours, excepté le samedi, bien entendu, et les autres jours où Marse Chan n’a pas envie d’apprendre. Et c’est là, — car l’école reçoit également des garçons et des filles, — que Marse Chan remarque d’abord miss Anne, dont le père, un certain colonel Chamberlayne, a, tout près des Channing, une habitation non moins imposante que la leur. Miss Anne n’a plus de mère et son papa, plongé dans la politique,