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telle fresque de fra Angelico et de Botticelli, du Pérugin et de Pinturicchio, telles statues célèbres : l’Apollon, le Laocoon, l’Antée, les Trois Grâces (alors déjà transportées à Sienne). Florentin de naissance, élève même de Ghirlandajo dans sa première jeunesse, Albertini a un goût prononcé pour les arts[1] ; mais dans ses Mirabilia il s’interdit toute appréciation développée : ce n’est pas un tableau qu’il prétend donner, c’est un simple inventaire qu’il dresse, et il le fait d’un style sobre et sec, avec une monotonie fatigante. Rien pourtant qu’à ce seul dénombrement, on reçoit la très vive impression des immenses travaux accomplis dans la ville éternelle depuis un demi-siècle, et la Rome des Rovere apparaît devant nos yeux en toute ampleur et magnificence.

Un chapitre spécial, intitulé de Domibus cardinalium, nous fait aussi voir combien vite, sous l’impulsion donnée principalement par les deux pontifes liguriens, tous ceux qui de près ou de loin tenaient au Vatican, — prélats, hauts dignitaires, banquiers apostoliques, — se sont mis à bâtir de vastes habitations, des demeures monumentales, et à les orner avec un luxe intelligent. D’abord adossés à des églises (S. Marc, Santi-Apostoli, San-Damaso), faisant corps avec elles et comme abrités sous leur ombre, ces hôtels cardinalices ne tardent pas à s’émanciper, à faire litière de toute fausse pudeur ecclésiastique et à devenir franchement des résidences fastueuses, princières. Les palais de Venise, Colonna, Doria-Pamfili, Madama, Sforza-Cesarini, Giraud-Torlonia, de Penitentieri, la Cancelleria, la Farnesina, etc. : nous les trouvons déjà tous[2] dans ce chapitre de l’Opusculum, sous leurs noms d’alors naturellement, noms empruntés tantôt à l’église qui avoisinait le palais, tantôt au puissant personnage qui l’a fondé ou y habitait. Naturellement aussi, ces édifices présentaient au commencement du XVIe siècle un aspect parfois bien différent de celui qu’ils ont aujourd’hui après maintes réparations et réfections. Les façades surtout[3] étaient alors généralement décorées ; sur un fond sombre relevé par des lisérés plus clairs s’y étalaient en graffito des figures géométriques, des feuillages et d’autres motifs délicats.

  1. On a de lui aussi un Memorie di molte statue et picture che sono nella inclyta Cipta di Fiorentia (Florence, 1510), qui est une source précieuse pour l’histoire de l’art en Italie. Il a, de plus, écrit un petit livre sur la musique.
  2. Albertini en mentionne d’autres qui depuis ont disparu, par exemple, le palais Piccolomini (Sant’ Andrea della Valle) ; il en omet aussi plusieurs, et de très considérables, comme les palais des cardinaux Capranica, Ascanio Sforza, Nardini.
  3. Aussi bien que les cortili à l’intérieur ; dans la cour de’ Penitentieri (autrefois palais de Domenico della Rovere), on peut voir encore aujourd’hui les traces d’une décoration semblable.