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tandis que le théâtre de Marcellus, avec son système de colonnes engagées et superposées, tandis que les pilastres du Panthéon, les voûtes et les niches des Thermes le guideront dans le revêtement des murs et des supports, et dans l’élévation des arcades et des loggie. Loin d’ailleurs de s’en tenir exclusivement à la formule antique et de s’y assujettir, il n’hésitera pas à donner le rustique toscan aux fondations cyclopéennes de San-Biagio ou au rez-de-chaussée de tel palais particulier, et gardera de son passé lombard la prédilection pour les coupoles exhaussées, les extrémités sphériques et les piliers en ressaut. Il en gardera surtout le sens exquis d’élégance et de distinction, et restera jusqu’au bout le profilatore incomparable du siècle. Il affinera le style romain massif des temps des Césars, sans lui faire perdre de sa majesté et de sa puissance ; à l’encontre de Michel-Ange, il saura unir la grâce à la force, la préoccupation de la beauté aux exigences du colossal, et l’architecture sera pour lui toujours une harmonie, une « musique, » selon l’expression célèbre d’Alberti.

La première création de Bramante à Rome fut (1502) le Tempietto, petit édifice circulaire à deux étages et à coupole[1] qui, dans la cour de San-Pietro-in-Montorio, s’élève sur la place même où le prince des apôtres subit le martyre. Petit édifice, grand événement : « Après une interruption de douze siècles, dit M. Burckhardt, c’est le premier monument construit de nouveau entièrement dans le pur esprit des anciens. » Les architectes de la renaissance ne se sont pas lassés de l’étudier et de le dessiner comme le type de ce qu’ils appelaient le buon stile ; aujourd’hui encore, il exerce un charme pénétrant sur tout visiteur éclairé- du Janicule. La magnificence du site ajoute à l’attrait du monument : à deux pas de là on jouit de cette vue admirable sur la ville, la campagna et les monts que Martial a déjà célébrée dans des strophes délicieuses[2]… Rien de plus curieux et de plus instructif que le parti-pris de sobriété, de sécheresse presque, qui caractérise cette œuvre initiale de la seconde manière de Bramante. Les deux jolis temples ronds de Vesta à Rome et à Tivoli (San-Stefano delle Garozze et la « Sibylle ») ont bien évidemment inspiré le Tempietto, mais il n’est pas jusqu’à ces modèles antiques que l’artiste n’ait cru devoir corriger dans le sens d’une simplicité plus grande encore, en éliminer tout détail superflu de moulure et de parure. Aux colonnes corinthiennes, riches et épanouies des deux édicules

  1. Le couronnement de la coupole n’est pas de Bramante : il l’avait projeté beaucoup plus haut et svelte, en forme de candélabre.
  2. Epigrammata, IV, 64.