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Nicodème y soutiendra de ses bras le Christ mort, pleuré par la sainte Vierge et Madeleine ; et à ce Nicodème en cagoule, l’artiste octogénaire prêtera les traits connus et sombres, flétris de bonne heure par le poing de Torrigiano ! .. Il travaillera avec acharnement et en cachette à ce groupe colossal, — il y travaillera surtout la nuit en s’éclairant, vrai cyclope, d’un flambeau attaché à son front, — jusqu’au moment où, découvrant tout à coup une veine dans l’immense bloc de marbre, il le fera éclater en pièces et laissera tomber le ciseau de ses mains défaillantes. Les morceaux pieusement recueillis et rajustés par un jeune ami du sculpteur, Tiberio Calcagni, ont fini par être déposés en 1722, sur l’ordre de Côme III, dans la pénombre de Santa-Maria del Fiore, derrière le grand autel ; mais Vasari fut bien mieux inspiré en demandant, dès 1564, à placer à Santa-Croce le groupe mutilé qui contenait la dernière pensée du maître, — car elle était magnifique, la pensée du Prométhée expirant, de se représenter après la mort, en froc de pénitent serrant sur le cœur la Passion du Christ et la douleur des deux Maries[1]

Mais n’êtes-vous pas frappé de la place immense et mystérieuse que la tombe n’a cessé de tenir dans l’art chrétien, depuis le crépuscule des catacombes jusqu’au plein midi de la renaissance ? .. Les cryptes de Lucilla et de Callixtus, — le mausolée de Galla Placidia, — la basilique sépulcrale de Saint-François, — le Campo santo de Pise, — les sagre grotte du Vatican, — le cénotaphe de Jules II, — les monumens de Santa-Maria del Popolo, — la chapelle des Médicis, — la Pietà du Dôme de Florence : ainsi pourraient être intitulés les divers chapitres de cette histoire extraordinaire d’une sculpture et d’une peinture qui ont grandi toutes les deux à l’ombre de la mort !


VIII. — « BELVEDERE » (1509).

Une tête superbe et presque entièrement dénudée, sauf quelques boucles de cheveux tout près de la nuque ; le crâne, le front, les sourcils et les yeux d’une puissance extraordinaire, et contrastant

  1. Je crois devoir relever le passage suivant, trop peu remarqué en général, dans une lettre écrite par Vasari à Lionardo Buonarroti, le 18 mars 1564, trois semaines après la mort de Michel-Ange (Carte inédite Michelangiolesche, Milan, Daelli. 1865, p. 55) : « Quand je réfléchis que Michel-Ange affirmait, comme le savent bien aussi Daniele (da Volterra), messer Tommaso dei Cavalieri et beaucoup d’autres de ses amis, qu’il destinait la Pietà aux cinq (quatre) figures pour son tombeau, je pense que son héritier doit rechercher comment elle est devenue la propriété de Bandini. En outre, il y a dans le groupe un vieillard qui représente la personne du sculpteur. Je vous conjure donc de prendre des mesures pour ravoir la Pietà, etc. »