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honnêtes femmes. Et, pour les corps, je suis obligé de dire qu’elles ont presque toujours l’avantage. Si j’avais à recommencer ma vie, je crois que je me bornerais à la chasse aux rats. »

Pour les bas-bleus, il s’en gardait. Son aventure avec le plus grand d’entre eux, vers le printemps de 1833, le mit en défiance, et pour jamais. Le court passage de Mérimée dans les bonnes grâces de Mme  Sand est un fait d’histoire littéraire sur lequel s’est greffée une légende assez amusante. D’après cette légende, Sainte-Beuve, voyant que Mme  Sand était seule et souffrait de cette solitude, lui aurait « donné » Mérimée, et, dès le lendemain, George Sand lui aurait écrit pour lui rendre et lui reprocher ce cadeau. Il n’est pas vrai que Sainte-Beuve ait joué ce rôle trop bienveillant et qu’il ait béni l’union civile de Mérimée et de Mme  Sand. Mais il est exact qu’il reçut des confidences et des plaintes. La lettre, paraît-il, existe encore ; il y est dit que George Sand, là où elle espérait rencontrer un cœur tendre et chaud, n’avait trouvé que « froide et méprisante raillerie. » Cette lettre circula et fit du tort à Mérimée. D’ordinaire très discret, mais impatienté de ces cancans, il se serait vengé en racontant sur sa bonne ou sur sa mauvaise fortune des détails plus gais que bienséans. Eut-il réellement ce tort ? Traita-t-il comme une simple aventure d’étudiant cette femme qui était au moins son égale par le talent ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne se laissa pas mener où alla Musset, et qu’il fit bien. On verra dans quelle circonstance il retrouva celle qu’il avait dédaignée et irritée.

Donc, ni rats, ni femmes de génie. La femme, pour plaire à Mérimée, devait être raffinée d’esprit ; elle devait mettre ce raffinement non à noircir du papier pour les imprimeurs, mais à varier indéfiniment la comédie de l’amour, la délicieuse comédie à deux personnages et sans spectateurs. Pourvu qu’elle gardât toujours sa délicatesse et sa grâce, il lui permettait de mentir, de ruser, d’égratigner et même de mordre. Il prenait un plaisir infini à suivre ces jeux félins ; c’était le côté dangereux, inquiétant de la femme qui l’attirait. Il fallait deviner l’énigme ou être dévoré par le sphinx. Tant pis pour les imbéciles et les maladroits !

Ce n’est point qu’il ne crût au bien, mais la psychologie du mal lui paraissait bien plus intéressante. La vertu lui inspirait une langueur, un respect, une insurmontable envie de bâiller. Lisez toute son œuvre de romancier depuis la Chronique de Charles IX jusqu’à Carmen, sans oublier la Vénus d’Ille, Arsène Guillot et Colomba. Vous ne trouverez pas une seule bonne femme. Elles sont toutes méchantes, plus ou moins. Vers la fin, elles deviennent féroces, sans cesser d’être charmantes, à ses yeux du moins. Dans la Venus d’Ille, il compare la jeune femme et la statue. Elles ont une ressemblance