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tard de Fouché et de Talleyrand. Il y a le moine ignare et fanatique, qui tremble de mourir, mais devient furieux et réclame le martyre dès qu’on touche à la châsse de son saint patron. Et, derrière eux, on découvre d’autres figures monacales, moins arrêtées, mais encore distinctes. Pour couronner la peinture des gens d’église, l’aumônier de brigands, peint en deux traits : un de ces paradoxes vivans toujours chers à Mérimée.

Les auteurs jugent de leurs livres par la peine qu’ils y ont prise, et le public en juge par le plaisir qu’il y a trouvé : de là de fréquens malentendus entre nos lecteurs et nous. Mérimée ne comprit pas bien le froid accueil fait à la Jacquerie. Mais il se remit à l’œuvre : « Je travaille extraordinairement, écrivait-il à Albert Stapfer, non-seulement pour un paresseux comme moi, mais pour un homme de lettres, M. Defauconpret excepté. Je fais un méchant roman qui m’ennuie, mais que je veux finir parce que j’ai bien d’autres plans en vue. Si Dieu m’est en aide, je noircirai du papier en 1829[1]. »

Le « méchant roman, » c’est la Chronique de Charles IX. Je suis bien aise d’apprendre que Mérimée ne l’aimait pas, car je suis un peu de son avis. De Shakspeare, il tombait à Walter Scott qu’il traduisait, non à la Defauconpret, mais à la Dumas, en l’assaisonnant d’un ressouvenir du genre picaresque. La préface, assez ambitieuse malgré l’affectation de modestie, annonçait une thèse historique à plaider, une explication toute neuve de la Saint-Barthélemy, et rien de tout cela ne se trouve dans le livre. L’inspiration de la Chronique, c’est la passion antireligieuse, la seule cause qui ait parfois fait manquer de goût à Mérimée. Passe pour le sermon du frère Lubin, pot-pourri et parodie des excentricités théologiques du XVIe siècle. Mais, à la fin, la colère l’emporte sur la gaîté. La mort de l’aîné des Mergy, qui écarte de son lit le pasteur et le prêtre, veut être tragique et manque son effet parce qu’elle n’est pas possible, historiquement. Mergy est un voltairien qui se trompe de siècle : renvoyons-le à la ménagerie de Mme  Geoffrin ou à une charbonnerie quelconque de 1825. Il est trop facile, quand on raconte la Saint-Barthélemy, de rendre les catholiques odieux ; mais il est trop difficile, même pour un talent comme Mérimée, d’escamoter aux calvinistes le prestige du martyre.

La Chronique de Charles IX n’offre point ce fini, cette concentration qui caractérise Mérimée dans quelques-unes de ses œuvres. On sent qu’elle a été écrite sans plaisir et comme bâclée. Le style a une sorte de fluidité qui touche à l’insignifiance et ne suffit pas

  1. Correspondance inédite avec Albert Stapfer. Lettre du 16 décembre 1828.